Chroniques

par bertrand bolognesi

ouvrage collectif
Spectacles et performances artistiques à Rome (1644-1740)

Collection de l’École Française de Rome (2021) 570 pages
ISBN 978-2-728314-89-8
Spectacles et performances artistiques à Rome (1644-1740)

Avec Spectacles et performances artistiques à Rome (1644-1740), le collectif réuni dans cette publication de la Collection de l’École Française de Rome – Orsetta Baroncelli, Michela Berti, Diana Blichmann, Teresa Chirico, Roberto Ciancarelli, Émilie Corswarem, Cristina Fernandes, Gloria Giordano, Manuela Grillo, Christine Jeanneret, Huub van der Linden, Valeria De Lucca, Barbara Nestola, Alexandra Nigito, Chiara Pelliccia, Aldo Roma, Giulia Anna Romana Veneziano, Guy Spielmann et Sara Elisa Stangalino – propose une contribution majeure à l’histoire des arts du spectacle en contexte romain en temps baroques. L’ouvrage se donne pour ambition de renouveler en profondeur l’approche historiographique des manifestations théâtrales, musicales et chorégraphiques à Rome, en les appréhendant non comme des objets esthétiques autonomes mais comme des événements performatifs, ancrés dans de complexes réseaux sociaux, politiques et matériels.

Fondé sur une enquête archivistique d’une ampleur remarquable – menée principalement dans les fonds des grandes familles aristocratiques romaines (Aldobrandini, Borghese, Colonna, Chigi, Pamphilj, Ottoboni, entre autres) –, le volume couvre une période charnière allant de l’avènement d’Innocent X en 1644 à celui de Benoît XIV en 1740, moment qui marque l’extinction progressive du népotisme pontifical. Ce cadre chronologique permet de saisir l’évolution des pratiques de mécénat des spectacles dans la construction symbolique du pouvoir aristocratique, à un moment où l’exploit guerrier cède le pas à la mise en scène du prestige.

L’un des apports essentiels de l’ouvrage, qui associe autant d’essais en langue italienne qu’en française, réside dans l’adoption résolue du paradigme de la performance. Les contributions, issues de disciplines variées (musicologie, études théâtrales, histoire, etc.), s’accordent pour dépasser l’analyse du texte ou de la partition afin de prendre en compte tout ce qui n’est pas écrit : gestes, spatialité, son, dispositifs techniques, temporalité, participation du public… et même l’opulence gastronomique et les pillages, de bon ton, qu’elle pouvait engendrer. Le spectacle n’est plus envisagé comme produit mais comme processus collectif, impliquant artistes, commanditaires, spectateurs, lieux et objets dans une coproduction de sens.

Cette approche événementielle se révèle particulièrement féconde dans l’analyse des fêtes aristocratiques et diplomatiques, conçues comme des macro-événements multisensoriels. La musique et le son y apparaissent dotés d’une véritable agentivité, capables de modeler l’espace urbain et d’immerger le spectateur dans une expérience à la fois esthétique et politique. Les études consacrées aux fêtes dynastiques, aux processions ou aux célébrations nationales montrent comment Rome devient, le temps de la performance, une scène éclatée où s’articulent privé et public.

Les parties consacrées aux lieux d’exécution et aux techniques de mise en œuvre prolongent utilement cette réflexion. Palais aristocratiques, collèges, théâtres privés ou publics sont envisagés comme des dispositifs performatifs à part entière, dont l’architecture et l’aménagement conditionnent l’expérience du spectacle. L’attention portée aux machines scéniques, aux effets pyrotechniques et aux danses – notamment dans les contributions sur les théâtres Colonna ou sur les performances publiques du début du XVIIIe siècle – souligne combien l’émerveillement visuel et technique participa d’un langage du pouvoir.

Enfin, ce livre passionnant, édité sous la direction d’Anne-Madeleine Goulet, de José María Domínguez et d’Élodie Oriol (tous trois également contributeurs) se distingue par le refus de cloisonnement disciplinaire et par l’importance qu’il accorde à la matérialité des sources investiguées : documents comptables, correspondances, archives notariales, parties séparées de partitions, etc. Cette archéologie de l’événement restitue la densité sociale des spectacles et en fait mesurer au lecteur les implications politiques, qu’il s’agisse d’alliances dynastiques, de stratégies diplomatiques ou de concurrence symbolique entre grandes familles.

Par l’ampleur de son corpus, la cohérence du cadre théorique et la richesse de ses études de cas, Spectacles et performances artistiques à Rome, 1644-1740 (Analyses historiques à travers les archives des familles aristocratiques) s’impose comme un ouvrage de référence. Il offre non seulement une relecture décisive de la vie performative, artistique et festive romaine aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais encore un modèle méthodologique précieux pour penser, au delà du seul cas romain, le spectacle comme fait social total.

BB