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Chroniques
Mauricio Kagel
Rrrrrrr... (extraits) – Anagrama – Mitternachtsstük
Né le 24 décembre 1931 à Buenos Aires, Mauricio Kagel est connu comme un créateur aux innovations radicales (en particulier dans la musique de théâtre), aux œuvres originales, imaginatives et pleines d'humour. Le présent enregistrement permettra de nous en rendre compte…
Rrrrrrr… (1981-82) consiste en quarante-et-un morceaux autonomes, qui peuvent être jouées séparément. Chaque section (orgue, chœur et piano, duo de percussion, vents, ensemble de jazz, etc.) est publiée dans un volume isolé, et c’est leur assemblage qui donne naissance à la fantaisie radiophonique Rrrrrrr…
« Quand j'ai commencé à songer à ce morceau, confie Kagel, j'ai imaginé D'Alembert engagé dans l'assommant travail de son Encyclopédie, s'endormant souvent sur les pages de son manuscrit, aux articles commençant tous par la lettre R. Dans son demi-sommeil, les significations précises des définitions se seraient chevauchées, de façon bien peu scientifique, avec une possibilité égale de les combiner par une association instinctive, ou de manière à troubler leur sens. J'ai juste un peu modifié cette idée pour la rendre plus éclairante et favoriser l'aboutissement du projet. »
C'est ainsi que Kagel a échangé une encyclopédie en cours d'élaboration contre un dictionnaire musical. Sept pièces pour chœur mixte a cappella ou avec pianiste – ici, Gunilde Cramer-Reimold – sont les extraits que le Südwestrundfunk Vokalensemble Stuttgart a choisi d'interpréter ici, oscillant entre chant grégorien et negro spiritual (Rrrrrrr…, Requiem, Resurrexit Dominus, Rêverie, Rex tremendae, Romance et Ring shouts).
Pour Anagrama, composé en 1957-58 pour quatre solistes, chœur parlant et ensemble de chambre, Kagel rejoint les contraintes de l'OuLiPo. Il a composé un texte en usant des seules consonnes et voyelles contenues dans le vers de Dante : IN GIRUM IMUS NOCTE ET CONSUMIMUR IGNI (Nous tournons dans la nuit et sommes consumés par le feu). Kagel pare d’universalité cette ronde de damnées – accentuée par l'effet de palindrome – en faisant entendre successivement de l'allemand, du français, de l'italien et de l'espagnol. Le livret, fort heureusement, nous donne un aperçu de ces différentes combinaisons qui mêlent polysémie et libres associations. On n'est pas très loin du Berio du Laborintus et de la Sinfonietta.
Autre rencontre littéraire, celle du Journal 1827-1838 de Robert Schumann. L'ouvrage, publié pour la première fois à Leipzig en 1971, devient vite pour Kagel un livre de chevet. Il y puise des connaissances sur la vie artistique et politique de l'époque, mais aussi des réflexions sur la nature des choses, sur la création, le désir, etc. Considérant après coup les passages du livre soulignés au crayon rouge par ses soins, le compositeur décide d'en mettre plusieurs en musique. Les trois premières parties de Mittenachtsstück furent écrites en 1980-81, la dernière en 1986 (soit deux ans après cet enregistrement). À la suite d'Ursula Gerlach-Kleint, narratrice efficace qui capte l'attention en première partie, Selene, déesse grecque de la Lune, est interprétée par l'alto Barbara Miller, le Prince par le ténor Manfred Gerbert et Gustav par la basse Ewald Liska.
LB