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Chroniques
Ludwig van Beethoven
Sonates pour piano Op.2 n°1 – Op.27 n°1 – Op.101
Talent musical précoce, Ludwig van Beethoven (1770-1827) s'installe définitivement à Vienne en novembre 1792 et s'impose peu à peu dans les milieux aristocratiques, grâce à ses exécutions et improvisations au piano. De nombreux auditeurs ont assistés, charmés, à ces dernières, comme le compositeur et chef d'orchestre Ignaz von Seyfried qui témoigne : « Son jeu se mit à gronder telle une cataracte écumante… puis il retomba en exhalant des plaintes légères, se répandant en mélancolie ; l'âme, triomphant des malheurs passagers de ce monde, reprit son essor, se tourna vers le ciel avec des accents pleins de ferveur pour trouver apaisement et réconfort sur le sein innocent de la nature ».
Pas de doute, nous sommes bien à l'orée du romantisme ! Autre anecdote : lors d'un duel musical avec un dénommé Daniel Streibelt (bien oublié, aujourd'hui), Beethoven improvise à partir d'une feuille de la partie de violoncelle d'un quatuor du rival en question, joué plus tôt dans la soirée, feuille qu'il retourne aux yeux de tous pour la mettre à l'envers sur le pupitre de son piano. Bien vite, l'harmonie surgit du chaos et le compositeur humilie définitivement l'arrogant qui l'avait défié.
Pour le clavier qui joua un rôle majeur dans son œuvre, Beethoven compose cinq concerti, cinq sonates avec violoncelle et dix avec violon, de nombreuses séries de variations (dont les célèbres Diabelli) ainsi que trente-deux sonates, écrites entre 1799 et 1824. Hélène Couvert a choisi trois d'entre elles, appartenant chacune à une période créatrice spécifique, qu'elle estime unies par « leur style proche de l'improvisation ». Si on a beaucoup polémiqué sur le nombre de ces périodes (deux pour Liszt, trois pour Vincent d'Indy, etc.), il est clair qu'on a ici une vision exemplaire de l'évolution d'un artiste.
La Sonate n°1 en fa mineur Op.2 n°1 a été composée entre 1794 et 1795, puis publiée chez Artaria. Elle est dédiée à Joseph Haydn qui fut le professeur de Beethoven à son arrivée dans la capitale autrichienne, et c'est devant lui que l'artiste la jouera, lors d'une soirée chez le prince von Lichnowski – son mécène de longue date, dont le nom apparaît en dédicace des tout premiers opus. Pouvant être également jouée sur clavicorde ou pianoforte, cette sonate cultive une virtuosité élégante et des formules d'accompagnement proche de la tradition classique. Hélène Couvert en livre sur ce disque une lecture délicatement articulée dont l'Adagio charme par une simplicité déconcertante, introduisant naturellement unMenuetto où l'on remarque un grand soin apporté à la qualité de la sonorité, toujours très égale, nuançant sans jouer les furieuses, avec un vrai sens de l'équilibre. L'ambitus des variations d'intensité sait contraster et colorer dans une proportion réduite qui rend parfaitement compte de ce que les instruments de cette époque pouvaient produire.
Vient ensuite la période de la maturité, celle où le compositeur s'affranchit des héritages de Haydn et de Mozart – rencontré pendant l'adolescence, lors d'un bref séjour viennois, au printemps 1787 –, des contraintes imposées par le clergé ou l'aristocratie. Beethoven recherche la liberté intrinsèque à l'idée d'artiste, et sa Sonate n°13 en mi bémol majeur Op.27 n°1 écrite entre 1800 et 1801, en porte la trace : elle doit être jouée d'un seul tenant (de simples doubles barres de mesure séparent les quatre mouvements) ; on y sent la lutte de l'auteur contre le déterminisme du premier mouvement, généralement Allegro, sur le reste de l'œuvre. C'est pourquoi il recourt, ici, à un Andante rêveur. Cette Quasi une fantasia est savamment chantée par Hélène Couvert, dans un moelleux à nul autre pareil, qui lui confère un climat schubertien. On remarque ici l'extrême raffinement d'une conception interprétative souple, élégante, et cependant sans manière.
En 1816, Rossini n'attire pas encore les regards tandis que Beethoven est au sommet de sa gloire. C'est l'année où il compose la Sonate n°28 en la majeur Op.101, la première expressément écrite für das Hammerklavier. Le compositeur repousse les limites : l'idée du thème développé vole en éclats, l'harmonie rebondit tandis que l'instrument est traité à mi-chemin entre expressivité symphonique et introspection – idée reprise plus tard par Robert Schumann. La pianiste, qui signe, dans le livret, un véritable credo à propos de l'énergie vitale de la musique de Beethoven, nous transporte, avec cet opus, vers des mondes plus subtils encore qu'elle illumine d'un jeu intelligent et sensible.
HK