Chroniques

par laurent bergnach

John Gay
The beggar’s opera | L’opera du gueux

1 DVD Opus Arte (2021)
OA 1328 D
Robert Carsen met en scène "The beggar's opera"

Introduit à Londres au début de l’année 1705, puis soutenu par la Royal Academy of Music durant neuf saisons riches d’une trentaine de créations (1719-1728), l’opéra « à la manière italienne » prend racine en Angleterre. Ses jardiniers se nomment Georg Friedrich Händel – Radamisto (1720), Floriante (1721), Ottone (1723), etc. –, Attilio Ariosti – Coriolano (1723), Artaserse (1724), Dario (1725), etc. – et, surtout, Giovanni Bononcini, natif de Modène qui vit le Théâtre Royal de Drury Lane présenter plus d’une soixantaine de fois, entre 1706 et 1709, Il Trionfo di Camilla, regina de’ Volsci (Naples, 1796), dans une version anglaise qui assura sa popularité avant la naissance d’autres ouvrages – Farnace (1723), Calpurnia (1724), Astianatte (1727), etc.

En réaction à cette hégémonie favorisée par une aristocratie ayant apprécié à l’étranger la magnificence de certains spectacles, la ballad opera voit le jour, caractéristique de la scène anglaise du XVIIIe siècle. Il s’agit de pièces musicales satiriques, nourries aux conventions de l’opéra mais conçues à partir d’une musique connue (hymne religieuse, mélodie populaire, romance, etc.). Certains y voient l’ancêtre de l’opérette et de la comédie musicale. Lorsque le poète John Gay (1685-1732) imagine The beggar’s opera (1728), qui souligne la puissance de la pègre et fustige la corruption des politiciens au pouvoir, l’accompagnement n’est pas de mise sur les parties chantées. Cependant, juste avant lapremière, le directeur du théâtre insiste pour que le Berlinois Johann Christoph Pepusch (1667-1752), compositeur avec lequel il travaille régulièrement, écrive une ouverture à la française ainsi que des arrangements pour les chansons – parfois des citations de Purcell et d’Händel. Et le succès est au rendez-vous !

Objet d’une collaboration qui le mènerait à travers l’Europe [lire notre chronique du 20 décembre 2018], notre spectacle fut filmé aux Bouffes du nord en avril 2018. Robert Carsen en signe la mise en scène ; il prévient : « pour cette nouvelle production, nous essaierons de revivre l’atmosphère de transgression et d’inépuisable énergie qui anime l’œuvre originale » (notice du DVD). Pour ce faire, il actualise le texte en compagnie de son confrère et dramaturge Ian Burton et laisse la scène quasiment vide. Entouré de hauts empilements de boîtes en carton ondulé signés James Brandily – arte povera reflétant le dénuement comme la débrouille de voyous, arme au poing et nez dans la poudre –, l’espace libre permet le déploiement de nombreuses chorégraphies réglées par Rebecca Howell. Côté jardin, après avoir apporté sa touche personnelle à la partition, William Christie joue au clavecin, entouré de neuf musiciens des Arts Florissants en baskets et hoodie pour mieux s’intégrer à l’ambiance canaille de l’ouvrage.

L’orchestre accompagne des artistes qui n’ont pas vraiment de formation lyrique, et sont plutôt des comédiens ayant l’habitude de chanter, voire de danser. C’est notamment le cas de Benjamin Purkiss (Macheath), formé à la Mountview Academy of Theatre Arts (Londres) où il a travaillé des rôles de comédie musicale (Sunday in the park with George, Wondeful town, etc.). Le beau gosse est entouré de ses deux épouses – Kate Batter (Polly), Olivia Brereton (Lucy) –, de courtisanes dont se distingue Emma Kate Nelson (Jenny) – Louise Dalton (Suky), Emily Dunn (Betty), Natasha Leaver (Molly), Jocelyn Prah (Dolly) –, ainsi que d’arnaqueurs qui forment sa bande – Taite-Elliot Drew (Jack, etc.), Wayne Fitzsimmons (Robin), Dominic Owen (Harry), Gavin Wilkinson (Matt), et surtout Sean Lopeman (Filch, etc.). Ce dernier est le partenaire idéal pour échanger avec Beverley Klein (Mrs Peachum, etc.), tout aussi bouffonne, tandis que Robert Burt (Mr Peachum) traîne plutôt, quant à lui, avec Kraig Thornber (Lockit).

LB