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Chroniques
Giuseppe Verdi
Un ballo in maschera | Un bal masqué
Été 1989, Herbert von Karajan répète une nouvelle production d'Un ballo in maschera de Giuseppe Verdi. Le vieux maître autrichien prolonge ainsi son illustre cycle Verdi dans son temple des rives de la Salzach. Mais le 16 juillet, le maestro meurt, alors que les répétitions de plateau ont déjà débuté. Par un heureux hasard, le festival arrive à engager Sir Georg Solti pour sauver le spectacle. Quelle revanche pour le renard hongrois ! Alors qu'il était quasiment banni de la manifestation autrichienne et de la Philharmonie de Berlin pour avoir oser passer devant Karajan en gravant le premier Ring en stéréo, le musicien est accueilli en sauveur et en héros. Le chef et la même distribution sont reprogrammés l'année suivante… et c'est la folie : quarante milles demandes de places non satisfaites !
C'est la première de ce spectacle qui est proposée par ce DVD. Georg Solti est le grand triomphateur de la soirée. À la tête d'un Wiener Philharmoniker rutilant, il conduit ce Bal avec une classe et un style confondants. La douceur des cordes, la violence rageuse des cuivres et des vents, le soin dans l'accompagnement des chanteurs : tout compose un Verdi enflammé et dramatique à souhait, comme on rêve d'en entendre. La distribution réunie par Karajan est plus problématique. Plácido Domingo est évidement un Gustav III magistral : présence scénique, aisance vocale et timbre adéquat. Face à lui, Leo Nucci ose un Renato impressionnant de noirceur ; il est véritablement saisissant lorsqu'à l'Acte III, il laisse éclater toute sa rage.
La distribution féminine est bien plus hasardeuse. Joséphine Brastow fut une très grande chanteuse, mais en 1990, la maîtrise vocale est plus qu'aléatoire et le chant déraille souvent. C'est d'autant plus dommage que l'engagement scénique est viscéral et l'on est ému par son jeu d'actrice. Le mezzo Florence Quivar se sort plus que bien de l'incroyable rôle d'Ulrica, mais elle manque de charisme. Avec un chant irréprochable, Sumi Jo possède nullement le style verdien nécessaire au personnage d'Oscar. La prestation du Chœur de l'Opéra de Vienne est excellente.
Pour cette production, Karajan avait fait appel au cinéaste John Schlesinger. D'un commun accord, ils avaient décidé de replacer l'action au temps de Gustav III de Suède, époque prévue par Verdi lors de la création de l'ouvrage, mais que la censure lui avait alors ordonné de postposer. La conception d'ensemble donne dans le grand opéra à l'ancienne : costumes éclatants, décors imposants et débauche de figurants. C'est peut-être suranné, mais si somptueux qu'il est impossible de ne pas admirer ce travail d'orfèvre ; il faut se pâmer devant la direction d'acteur qui sait gérer les scènes intimistes et régler les ensembles. Forcément, cet enregistrement apparaît comme le crépuscule de la manifestation salzbourgeoise, avant qu'un tout autre esprit envahisse le palais du festival.
PJT