Chroniques

par irma foletti

The magic fountain | La fontaine magique
opéra de Frederick Delius

Wexford Festival Opera / National Opera House
- 25 octobre 2025
Une rareté absolue au Wexford Festival Opera : "The magic fountain" de Delius
© pádraig grant

Après avoir programmé A village Romeo and Juliet en 2012, puis Koanga en 2015, le Wexford Festival Opera (WFO) continue de défendre l’œuvre de Frederick Delius en proposant, cette année, un troisième ouvrage, soit The magic fountain. Écrite en 1895, l’œuvre est empreinte d’un fort exotisme, le précédent séjour du compositeur dans les Everglades, en Floride, y ayant ardemment contribué. Le livret, de la main de Delius, relève de l’aventure, du mythe et d’une dose d’illumination : l’explorateur espagnol Solano (ténor) vogue vers la Floride à la recherche de la légendaire fontaine de vie éternelle. Seul survivant d’une tempête, il est recueilli par Watawa (mezzo). Wapanacki (baryton), le chef du village, se méfie de l’étranger et le devin Talum Hadjo (baryton-basse) consent à qu’il se fasse mener à la fontaine par Watawa, les autochtones ayant connaissance du pouvoir mortel de son eau. Très vengeresse à l’entame envers les hommes blancs destructeurs, Watawa laisse évoluer ses sentiments pour Solano et finit par se sacrifier par amour : elle boit l’eau, puis à son tour Solano la rejoint dans la mort, à la manière de Roméo et Juliette ou encore de Tristan et Isolde.

Le premier des trois actes mis en scène par Christopher Luscombe se déroule d’abord à l’intérieur du navire, dans plusieurs éléments découpés de la coque intérieure, autour d’une lampe suspendue dans une atmosphère sombre. Le voyage se déroule sereinement, avant l’arrivée de la tempête pendant laquelle tous les matelots sont violemment projetés à terre. Solano est échoué à l’avant-scène devant un rideau de lames de tissu, d'autres rideaux semblables aux couleurs multiples, selon les lumières de Daniele Naldi et Paolo Bonapace, étant aussi joliment placés en fond de scène ou à mi-plateau. Plus tard, les natifs amérindiens sont assemblés autour d’un feu, puis l’apparition de Talum Hadjo produit son effet, sortant des dessous, assis en tailleur au milieu de la fumée. Au cours du deuxième acte, nous avons également droit à une curieuse et courte séquence de danse où tous les choristes bougent et crient avec énergie, pouvant rappeler un haka maori. Il est conclu par la belle image de Solano et de Watawa au sommet d’une petite colline, sur fond de ciel étoilé, avant l’acte conclusif où l’eau de la fontaine, faussement magique, sort en des lames de tissu verticales.

En scène la plupart du temps, Dominick Valdés-Chenes relève avec brio les difficultés du rôle de Solano, particulièrement exigeant et tendu. La voix séduit davantage par la vaillance que par la couleur, dans une projection vigoureuse qui sollicite souvent le registre le plus aigu. Axelle Saint-Cirel semble bien épanouie en Watawa, partie qu’elle sert d’un timbre sombre et riche, l’artiste pouvant également faire preuve de puissance. Une longue scène de l’Acte III revient au personnage, déchirée entre vengeance des siens et amour pour l’étranger, « kill or kiss », pour finalement céder à son baiser et esquisser son premier sourire de la soirée, après deux actes et demi d’un visage envahi par la colère. En Wapanacki, Kamohelo Tsotetsi fait valoir un agréable timbre de baryton noble, toutefois plus discret dans ses notes les plus graves. Meilir Jones émet une couleur noire qui colle au rôle du devin Talum Hadjo aux allures de sorcier, mais sans le volume qui pourrait lui conférer davantage d’autorité. Il faut par ailleurs souligner la très bonne diction des artistes.

Les premières mesures de la partition charment l’oreille – la musique est calme comme un bateau qui navigue sur une mer d’huile, agrémentée de touches d’exotisme, mais également teintée de mélancolie, avec le cor anglais qui annonce sûrement les nuages noirs à venir. Il nous semble plus tard entendre de petits accents wagnériens, comme à l’Acte II un écho du réveil de Siegfried et Brünnhilde dans Götterdämmerung. Un beau passage est à noter ensuite à l’ouverture du III, d’un grand souffle. Sous la baguette de Francesco Cilluffo [lire nos chroniques de L’oracolo et de Madama Butterfly], l’Orchestra of the Wexford Festival Opera fait preuve d’une appréciable concentration, même si l’on détecte de petits écarts aux cuivres ou au cor anglais. Comme dans Le trouvère [lire notre chronique de la veille], les artistes du WFO Chorus font un sans-faute, aussi bien pour le chant que pour un jeu théâtral souvent très exigeant.

IF