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Chroniques
Otello, opéra de Gioachino Rossini (version de concert)
Juan de Dios Mateos, Anle Gou, Diana Haller, Francesco Meli, etc.
On connaît Otello de Rossini tel qu’il fut créé à Naples en 1816, au Teatro del Fondo, mais Rossini in Wildbad a décidé de le programmer cette année dans sa version modifiée en 1819 pour le Teatro Argentina de Rome, avec une fin heureuse au lieu de la tragique habituelle. Les changements sont substantiels dès le premier des trois actes, avec la suppression du duo entre Desdemona et Emilia et, par ailleurs, le remaniement de la cavatine de Desdemona, dont la musique provient à présent d’Elisabetta, regina d’Inghilterra. On retrouve ensuite tous les numéros habituels de l’Acte II, à l’exception notable de la disparition du grand air de Rodrigo, Che ascolto! ahimè! che dici, compensée par l’ajout d’un air spécifique pour Emilia, Tu che i miseri conforti.
Mais c’est évidemment le troisième acte et son lieto fine, inconnu de notre part, que nous attendons avec gourmandise. Il est principalement construit avec l’air Amor! possente nome d’Armida (paroles et musique), puis Or più dolci intorno al core de Ricciardo e Zoraide. Comme dans la version napolitaine, Otello est sur le point d’assassiner Desdemona ; celle-ci lui explique alors qu’il s’est trompé, que Iago est un traître, jusqu’à ce que le Maure se calme. Comme dans la fin tragique, les autres personnages entrent en scène pour signifier les nouvelles favorables et la fin heureuse fonctionne avec logique, sans que nous assistions au suicide d’Otello. Mais les différences sont plus nombreuses, parfois de détail, comme l’exclusion de la mélodie mélancolique du gondolier en coulisse au début du III, parfois plus significative, comme l’ajout de l’air d’Otello au II, Smarrita quest’alma, qui paraît mozartien – en fait, il provient de Penelope de Cimarosa (1794).
L’attraction de la soirée, pour un public venu en masse, était vraisemblablement le nom de Francesco Meli en haut de l’affiche. Le ténor italien, plus habitué récemment à l’Otello de Verdi, ne possède pas exactement les qualités des meilleurs interprètes du rôle rossinien, d’un format de baritenore, mais il se sort correctement de l’épreuve malgré ce handicap. C’est surtout la puissance qui caractérise l’instrument – une voix assez centrale aux graves correctement exprimés, mais un chant qui prive la partition de plusieurs aigus, sans parler d’éventuels suraigus ajoutés. Le son volumineux confère, certes, autorité au condottiere, mais l’ampleur devient régulièrement exagérée, par exemple dans l’air délicat évoqué plus haut, Smarrita quest’alma, qui n’en demande pas tant [lire nos chroniques de Falstaff, Maria Stuarda, Anna Bolena, Giovanna d'Arco, I due Foscari, La traviata et Requiem].
Au nombre de six dans la version napolitaine d’origine, la liste des ténors se trouve réduite à quatre dans la mouture romaine. Deuxième ténor par ordre d’importance, le Rodrigo de Juan de Dios Mateos développe une puissance bien moindre, mis à part certains aigus éclatants. L’agilité est correcte et le style élégiaque, surtout en raison de son volume discret. Il tient son rôle, mais se révèle un peu inconstant, entre certaines vocalises qui ont tendance à légèrement coincer par instants et quelques temps plus forts, comme la cadence finale de son air du premier acte [lire notre chronique d’Owen Wingrave]. En Iago, Anle Gou fait entendre un timbre un peu obscur, une voix ferme, tout de même, et assez souple dans les passages fleuris, assurant plusieurs duos avec vaillance (avec Rodrigo au I, puis Otello au II). Samuele Di Leo, en Doge, complète sans problème en quatrième ténor.
La basse Nathanaël Tavernier amène une contribution de valeur en Elmiro, le père de Desdemona, doté d’une grande autorité naturelle. Côté féminin, Diana Haller relève les nombreuses difficultés vocales de la partie de Desdemona, en termes de justesse des grands intervalles et de fluidité de la vocalise. Elle fait preuve de panache en ajoutant un suraigu dans le grand trio du II, mais surtout s’investit constamment dans un chant qui culmine au III avec l’air Assisa appiè d’un salice, émouvant et délicatement accompagné par la harpe. L’Emilia du mezzo Verena Kronbichler est également solide : la voix et un petit vibratello s’avèrent agréables, et l’artiste ne force pas ses moyens naturels.
Dans la Trinkhalle dont nous avons déjà décrit l’acoustique problématique, Nicola Pascoli [lire notre chronique de Masaniello] parvient à garder sous contrôle les forces de la Filharmonia im Karola Szymanowskiego w Krakowie (Philharmonie Karol Szymanowski de Cracovie), chœur et orchestre. Dans un équilibre préservé entre chanteurs et musiciens, on apprécie aussi la direction naturelle, sans artifice dans des tempi choisis, avant tout au service de la partition. Le public peut goûter aux détails mélodiques, souvent à la charge des bois, tout autant qu’aux séquences de plus grande allure, comme le trio du II ou les conclusions d’actes. Grand succès, au final, fait par l’auditoire debout.
IF