Recherche
Chroniques
Le nozze di Figaro | Les noces de Figaro
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
« C’est à partir des Nozze,point culminant de son génie, que Mozart n’eût plus de rivaux ! Son activité et sa fécondité engendrèrent des chefs-d’œuvres immortels », relate en 1828 Georg Nikolaus von Nissen, le premier biographe de Wolfi. En effet, dès la création (1er mai 1786, à Vienne), la fertilité de composition est évidente, que ce soit dans l’œuvre lyrique ou entre les lignes du courrier, ainsi que la vision prolifique de la parenté ou extensible du lignage. Près de deux cent quarante ans plus tard, pour relancer cette folle journée par sa tourbillonnante Ouverture, il paraît bien possible d’opter pour une frénétique pantomime du mariage heureux, tel Jiří Heřman [lire nos chroniques de Gloriana et d’Alcina] dans sa nouvelle production pour le Národní divadlo Brno (Théâtre national de Brno), invitée au Théâtre de Caen.
À l’avant-scène et en plein centre, des personnages « forment justement une vraie famille », avec « des hauts et des bas » (note d’intention). En conclusion du défilé très animé, aucun doute ne subsiste sur la voracité des chanteurs-acteurs, mais aussi des danseurs-mimes, en cette exceptionnelle soirée complètement tchèque. Ainsi dans la langue de Karel Čapek, Le mariage de Figaro se traduit-il de manière fort agitée dans la scénographie rococo et symétrique de Pavel Svoboda, couverte de tapisserie à nuages ou divisée par des murs mobiles en une sorte d’amphithéâtre. Également pimpants et d’époque, les costumes d’Alexandra Grusková osent une élégance véritable de corsets, jaquettes et perruques faisant mieux que parodier Versailles comme le fait la chorégraphie de Marek Svobodnik, tantôt fougueuse et osée, voire aguichante. Ce chic 1778 a aussi un aspect sportif tant il est porté par de remuantes piles électriques (bleue, rose, noire... selon un code couleurs pertinent).
À ce grand jeu populaire, justement ovationné par une salle comble, et très buffo, assuré par tous et toutes sur scène en comédiens précis qui souvent en rajoutent généreusement, mais en toute conscience et sans cabotiner, il semble revenir à la rayonnante Susanna de Doubravka Novotná de rafler tous les suffrages. Vive et mutine dans les récitatifs, voici même, le verbe haut et l’abattage magistral, une espèce de Minnie Mouse incandescente. Le chant est à l’avenant, à bien déguster son charmant Giunse alfin il momento, fort maîtrisé, aux vocalises soyeuses. Du même tonneau, le savoureux baryton Roman Hoza incarne un Figaro chaleureux, avec un Se vuol ballare, chanté debout sur la table centrale, joyeux et démonstratif (Non più andrai), voire inépuisable (Tutto è disposto) [lire notre chronique de L’enchanteresse]. La vendetta nous vient de l’excellente basse Jan Šťáva, Bartolo d’un incroyable ressort vocal et doué pour l’autodérision, en cette scène riche en gags, achevée par un orchestre survolté. La Marcellina piquante du mezzo Jana Hrochová séduit par la vaillance dans l’air Il capro e la capretta et le clair déroulé des vocalises.
Impressionnant en jeune homme libéré mais l’âme en peine (Non so più), le Cherubino du mezzo Václava Krejčí Housková s’avère séraphique dans un Voi che sapete. Au Comte campé par Luigi De Donato – basse... italienne ! –, bravo pour la correcte faconde, les colères de dadais et le talent d’acteur dans son mélodieux Hai gia vinta la causa [lire nos chroniques des Pêcheurs de perles, d’Il Sant’Alessio, Linda di Chamouni, Orfeo de Monteverdi, Histoires sacrées, Orlando, Arion Romanus, Orfeo de Rossi et Serse]. À la Comtesse, d’une belle intériorité que cultive le soprano Simona Šaturová, la délicatesse sied dans Porgi amor, puis le miel de la sincérité dans E Susanna non vien [lire nos chroniques de Lucio Silla et de Stabat Mater]. Tout aussi subtile, a fortiori brillante dans des récitatifs pourtant d’apparence simple, la Barbarina d’Helena Hozová, en réjouissante bécasse, sait volontiers joindre les extrêmes – farouche et brave, puis fière et chancelante pour le mélancolique Lho perduta [lire notre chronique d’Arsilda, regina di Ponto]. Enfin, pour leur drôlerie, il faut saluer aussi la belle humeur de Marek Žihla en Don Curzio, la modestie ainsi que le comique bien tranché de la basse Aleš Janiga en Antonio le jardinier, et puis ce volubile Bazile à l’irrésistible parade nuptiale, élément de la puissante vis comica du ténor Ondřej Koplík dont l’In quegli anni impressionne de finesse, au milieu d’un tel cirque !
Très plaisant pour son chant suave, le Chœur du Janáčkova opera participe des sensationnels tableaux à chaque final, tandis que Collegium 1704 offre une lecture homogène et régulière de la partition, sous la battue de Václav Luks [lire nos chroniques d’Officium defunctorum, La Resurrezione, Messe en si mineur, I penitenti al sepolchro del Redentore, Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Johannem et Semele]. Quand sur les planches menace le vaudeville à portes claquantes, la fosse donne au spectacle une dimension fantastique, puis elle éclaire la conclusion au jardin nocturne beaucoup mieux que la représentation physique un peu confuse des quiproquos parallèles. En somme, l’effet général est déconcertant, mais au bon pas de la comédie.
FC