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Le Concert Lorrain, Balthasar-Neumann-Chor, Christoph Prégardien
Passio Domini nostri J.C. secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244
Après une première approche hier soir, nous retrouvons la grande salle de la nouvelle Philharmonie pour l’autre Passion de Bach, selon Saint Mathieu, cette fois. Placé un peu plus à droite, dans le même bloc central de balcon et un rang plus proche de la rampe, le signataire de cet article s’exprime donc dans des conditions parfaitement comparables à celles connues samedi [lire notre chronique de la veille]. On retrouve la sensation de fondu dans la sonorité, mais si l’on était peut-être tenté de croire cette acoustique trop « égalisante » des caractères des interprètes, l’autocritique affirmera qu’il s’agissait alors d’une mauvaise anticipation, puisque on retrouve bien cet après-midi la couleur spécifique du Concert Lorrain, appréciée récemment à l’Arsenal de Metz [lire notre chronique du 20 septembre 2014]. Pas de passe-tout-grain, donc, ce qui conduit à dire que si l’exécution du jour paraît d’emblée mieux définie que celle d’hier, c’est avant tout grâce aux qualités des musiciens, fidèlement transmises.
Ces oratoriosde la semaine sainte sont dirigés par des chanteurs, Mark Padmore mercredi [lire notre chronique du 1er avril 2015], René Jacobs samedi et Christoph Prégardien ce soir. L’introduction du premier chœur, Kommt, ihr Töchter, révèle immédiatement une lecture assez dramatique de cette Matthäus Passion, engagée dans une inflexion à la fois emportée, chaude et incisive. Le chef investira toujours différemment la redondance du choral, partageant donc sur ce point l’option choisie à Berlin par Enoch zu Guttenberg l’an dernier [lire notre chronique du 17 avril 2014] – option parfaitement justifiée et défendable, comme son contraire, d’ailleurs, selon ce que l’on souhaite lui faire dire –, mais toujours dans le scrupuleux respect des équilibres et de la cohérence stylistique.
Les artistes du Balthasar-Neumann-Chor offrent un très grand moment de musique, mais encore de méditation spirituelle, au fil de chorals proprement lumineux, de chœurs savamment maintenus à la juste limite entre expression dramatique et théâtralité, d’un O Mensch, bewein dein Sünde groß bouleversant de douceur (fin de la première partie), enfin d’un Wir setzen uns mit Tränen nieder qui fait sens. Parmi ses solistes, saluons les très appréciables interventions d’Hans Wijers, Julian Redlin, Matthias Lucht et Stefan Geyer.
À l’exception d’un Jésus exsangue qui force la ligne par des contrastes involontaires et un legato fragmenté, prématurément vieilli, nous goûtons l’extrême pertinence d’une distribution vocale de haute volée. Ainsi de l’attachante Hana Blažíková, soprano nettement plus à son affaire que l’an dernier dans la même partie [lire notre chronique du 15 avril 2014], avec un Blute nur dûment questionneur, du ténor très présent de James Gilchrist, dont la vive expressivité sert admirablement Geduld ! (deuxième partie), et de la jeune basse Martin Berner, Pilate souple et soigneusement conduit.
Deux chanteurs conquièrent immanquablement la salle. Le mezzo-soprano Sophie Harmsen, infiniment musical, précis et engagé dans la phrase, vient littéralement nous chercher, grâce à un timbre à la fois porté et enveloppant, dans chacune des parties à lui être confiées, dont un Erbarme dich à pleurer, puis un Sehet, Jesus hat die Hand en déploration irrésistible. Enfin, nous retrouvons Julian Prégardien (fils de Christoph), favorablement remarqué il y a quelques années en Évangéliste de cette Saint Mathieu à Royaumont [lire notre chronique du 2 octobre 2009] : il confirme aujourd’hui des atouts qu’on n’aura de cesse de recommander : la souplesse et la clarté de l’émission, la dynamique infiniment travaillée, l’impact solide, le dessin de la phrase, la plongée indicible dans le mystère des Écritures – un Évangéliste flamboyant par un excellent ténor qui a totalement dépassé les hésitations des premiers temps [lire notre chronique du 30 août 2008].
BB