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Chroniques
Georg Friedrich Händel
Israel in Egypt, oratorio HWV 54
De notre pays dit « de culture » il faut bien avouer qu’il ne possède guère les écrins indispensables à honorer Euterpe : quoi qu’on en dise, les salles anciennes n’ont pas suffisamment été pensées pour transmettre ce qui se passe sur scène, et l’aménagement d’un réseau métropolitain est venu agrémenter l’écoute parisienne de vibrations qui, avec plus ou moins de bonheur, se marient à celles des orchestres et des voix. Les réalisations de ces dernières années n’ont pas toujours prouvé qu’aujourd’hui l’on sût faire mieux. En matière acoustique la main heureuse n’est pas forcément au rendez-vous : après la nette amélioration du Nouveau Siècle de Lille (qui demeure une amélioration, sans plus), les auditoriums flambant neufs de Poitiers et de Bordeaux n’ont pas relevé le niveau. À la mi-novembre s’ouvrira l’Auditorium de Radio France, puis on découvrira la Philharmonie de Paris en janvier. Ainsi, à la veille de ces inaugurations, le sujet garde-t-il en références absolues deux miracles acoustiques : l’Auditorium de Dijon et l’Arsenal de Metz, tous deux excellents – et, qui plus est, pour tous les répertoires, comme le démontre une nouvelle fois le programme du jour : après l’orchestre français du début du XXe siècle [lire notre chronique de la veille], les sycomores et les hêtres de Bofill magnifient la verve baroque.
Créé à Londres en 1739, Israel in Egypt est non seulement l’un des plus beaux oratorii sacrés de Händel mais encore celui qui fait au chœur la part la plus belle. En un peu moins de deux heures, près de vingt-cinq séquences chorales articulent un récit en trois actes, à peine ponctué par quelques inserts solistiques, certes non des moindres. Voilà juste cinq ans commençait la résidence du Concert Lorrain à l’Arsenal. Trois concerts thématiques l’illustraient durant la saison 2009/2010, puis quatre par saison entre novembre 2010 et mars 2013, enfin six l’an dernier. Cette fois, outre les nombreux Cafés baroques et son Académie de musique baroque, la programmation messine se concentrera sur deux œuvres phares du répertoire d’élection : la Passio Domini nostri Jesu Christi secundum Evangelistam Matthaeum BWV 244 de Johann Sebastian Bach (donnée in loco le 24 mars prochain, mais également en tournée : Anvers, Cuenca, Lucerne, Luxembourg, Oslo, Paris, Versailles et Weimar) et Israel in Egypt de Georg Friedrich Händel (repris demain au Festival d’Ambronay).
C’est au chef britannique Roy Goodman qu’est confiée la direction du présent projet, s’associant les voix du Nederlands Kamerkoor. D’emblée, la Sinfonia impose un climat recueilli, grave, sans conteste moins « électrique » que celui vers lequel tendent plusieurs chefs baroques : Goodman ne cède pas au brio et, quitte à contredire Parrott et Christie, préfère se concentrer sur le récit tragique dont subtilement il tisse la progression. L’architecture de cette vaste fresque dramatique est parfaitement mise en évidence, l’obsessionnelle scansion « How is the mighty fall’n ! » de la première partie (The lamentation of the Israelites for the death of Joseph) trouvant son répons rituel dans l’heureux « The Lord shall reign for ever and ever » du final (Mose’s song). Aux arie succèdent des fugues enlevées, toujours profondément ancrées dans le texte. On admire l’art des choristes néerlandais qui portent haut un opus difficile.
Six voix solistes sont ici réunies. Si le contreténor David Allsopp offre une saine clarté de timbre à ses interventions et se fond soigneusement dans les ensembles, l’émission s’avère parfois un rien trop haut et le grave plutôt terne (They loathed to drink of the river), puis nettement instable (Thou shalt bring them in). On retrouve Peter Harvey, toujours d’une parfaite efficacité, dans une partie un peu courte, la basse principale étant confiée à Roderick Williams, chanteur à la morgue tant brillante qu’expressive. Quoique souffrant d’un refroidissement, tel qu’en témoignent les enrouements du premier récitatif de la partie médiane (Exodus), le ténor James Gilchrist livre une prestation satisfaisante. Le soprano Julia Doyle fait merveille, dans les ensembles, les airs, les récitatifs, tous luxueusement portés, mais encore dans le fameux duo The Lord is my strength (III) où joindre son timbre à celui de Maria Valdmaa, très proche, en un troublant écho, superbe de souplesse. Difficile de ne pas applaudir après un Thou didst blow de cette trempe – mais nous ne sommes pas à l’opéra, chut…
Grand ton, donc, pour un Israel in Egypt très digne qui, plus religieux que théâtral (à l’inverse de la vision de Paul Dombrecht, par exemple), ne surenchérit pas l’horreur des plaies d’Égypte (fin de I). Saluons la saine fluidité du Concert Lorrain, dans cette lecture proche, à bien des égards, de celle de Peter Dijkstra (à Munich, il y a six ans), et quittons l’Arsenal fugue finale en tête, d’une indicible joie !
BB