Chroniques

par irma foletti

Józef Poniatowski | Pierre de Médicis, opéra en quatre actes (concert)
Patrick Kabongo, Claudia Pavone, César San Martín, Nathanaël Tavernier, etc.

Orkiestra Filharmonii im. Szymanowskiego w Krakowie, José Miguel Pérez-Sierra
Rossini in Wildbad / Trinkhalle, Bad Wildbad
- 24 juillet 2025
À la découverte du très rare PIERRE DE MÉDICIS de Józef Poniatowski...
© magdalena kiwior

Le festival Rossini in Wildbad est consacré au compositeur natif de Pesaro, mais pas exclusivement. Après, entre autres, Masaniello de Michele Carafa l’année dernière [lire notre chronique du 26 juillet 2024], ou encore Le philtre d’Auber il y a quatre ans [lire notre chronique du 24 juillet 2021], la présente édition affiche Pierre de Médicis de Józef Poniatowski. De son nom francisé Joseph Poniatowski (1816-1873), le parcours du compositeur est singulier : petit-neveu du dernier roi de Pologne et né dans l’exil italien de son père après la fin de l’alliance polono-lituanienne, il obtint successivement la nationalité toscane puis française. Il fut sénateur du Second Empire, très estimé à Paris où il était ami de Rossini, d’où vraisemblablement l’idée de programmer ici son œuvre.

Créé à Paris en salle Le Peletier en 1860, Pierre de Médicis est un grand opéra français en quatre actes, dont Rossini in Wildbad propose la version intégrale, en version de concert d’une durée de quatre heures, entractes compris. José Miguel Pérez-Sierra [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia, Maruxa, Tosca, Carmen, Corradino, La scala di seta, Armida et L’Italiana in Algeri] dirige l’Orkiestra Filharmonii im. Szymanowskiego w Krakowie (Orchestre de la Philharmonie Szymanowski de Cracovie) dans une Ouverture qui oscille entre ambiance inquiète et menaçante, aux tempi lents et tutti majestueux qui font état de légères fragilités passagères aux pupitres des cuivres. Comme souvent remarqué dans la Trinkhalle à la forte acoustique, salle dépourvue de fosse pour les musiciens, qui plus est, le volume atteint rapidement la saturation, rendant la tâche régulièrement difficile aux solistes vocaux. Le Chœur, également de la Philharmonie cracovienne, est bien en place et sonore, disposé sur deux rangées en fond de plateau. Son français n’est pas toujours immédiatement compréhensible, mais les surtitres allemands et en langue originale aident l’auditeur.

Ces surtitres deviennent, en revanche, inutiles lorsqu’intervient Patrick Kabongo dans le rôle-titre de Pierre, gouverneur de Pise et qui, comme son frère Julien, est amoureux de Laura Salviati. Celle-ci est condamnée par l’homme de pouvoir, non aimé en retour, à entrer au monastère, une obligation soutenue par l’oncle de la jeune femme, l’inquisiteur Fra Antonio. Le ténor développe un timbre clair et une diction particulièrement limpide, dans une partie hérissée de difficultés – par exemple, un contre-mi bémol dans la cavatine d’entrée. Sa vaillance se maintient de bout en bout, en méchant de l’histoire finalement repentant à l’orée de sa mort, en fin de dernier acte, mais trop tard pour empêcher la réclusion de Laura au couvent [lire nos chroniques de L’inganno felice, Romilda e Costanza, Moïse et Pharaon, L’equivoco stravagante, Le Balcon, Elisabetta, Ermione, Il Turco in Italia, La resurrezione, Les martyrs, Lucie de Lammermoor et Le comte Ory]. En Julien de Médicis, César San Martín dispense une moins bonne élocution du texte. Capable de puissance, le baryton projette souvent en force, mais il faut tout de même insister sur la difficulté de passer par-dessus le volume de l’orchestre. Le rôle est gratifié du grand air Asile auguste et solitaire au troisième acte, long passage précédé par l’orgue et le chœur, qui chante en latin, et dont l’introduction à la trompette solo peut rappeler Donizetti, entre Don Pasquale et La favorite. La cabalette qui suit La sainte patrie confirme une voix assez centrale qui n’ajoute pas de suraigus.

La diction reste également perfectible pour Claudia Pavone distribuée en Laura Salviati. Du soprano aux aigus puissants, moins confortable dans la moitié inférieure de son registre, la prière de l’Acte III, Vierge Marie, ô reine sainte, n’atteint pas à la sublime élégie, la chanteuse n’allégeant sans doute pas suffisamment en piano ou pianissimo – elle se révèle globalement meilleure dans la nuance forte [lire nos chroniques de La bohème et de Giulio Cesare in Egitto]. Avec une excellente qualité de français, la basse Nathanaël Tavernier impose un Fra Antonio autoritaire et terrifiant, d’un instrument volumineux et profond, mais sans jamais sacrifier à la qualité du chant, les résonances dans le grave procurant un plaisir constant [lire nos chroniques de Cenerentola, Salome, Ottone et Les pêcheurs de perles].

Entre ces quatre rôles principaux, de nombreux ensembles (en particulier duos ou trios) installent une ambiance musicale qui rappelle plus d’une fois La Juive d’Halévy, mâtinée parfois d’un peu de Verdi – par exemple, à la fin de l’Acte I où l’on pense au duo Odabella/Foresto d’Attila. Le début du II, Amis, la fête sera belle, évoque davantage le premier acte des Huguenots. Signalons que la musique de ballet Les amours de Diane est donnée dans son intégralité, soit de nombreux numéros qui s’enchaînent… et vingt-cinq minutes sans aucun mouvement dansé ! La distribution est très correctement complétée par les rôles secondaires, en particulier Anle Gou en Paolo Monti, ténor à la voix ferme et clair de diction.

En conclusion, on découvre un ouvrage de grande qualité, dans le pur format du grand opéra français à ballet obligé, comme chez Meyerbeer, Halévy, et même le Rossini de Guillaume Tell. Mais on détecte aussi clairement quelques brefs clins d’œil à Rossini (le thème d’entrée initiale du chœur emprunté à Bianca e Falliero ?), Donizetti et Verdi. Ici, le problème de déséquilibre entre orchestre et chanteurs devrait toutefois s’atténuer pour la sortie prochaine de l’enregistrement, a priori sous forme de CD Naxos, le label qui fidèlement publie depuis des années les titres joués au festival.

IF