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Chroniques
hommage à Fuminori Tanada
œuvres de Bach, Murail, Ravel, Sciarrino et Tanada
Au tout début de l’été nous quittait un très grand musicien, auquel nous devons bien des moments d’émotion esthétique, de rencontre et de découverte, moments toujours intenses. Durant plus de trois décennies, nous avons apprécié le talent de Fuminori Tanada lors des concerts de l’ensemble L’Itinéraire au sein duquel, depuis le piano (les claviers en général), il créa de nombreux opus, dont certains de sa propre main. Au compositeur, pianiste, claviériste et pédagogue, les élèves du département des Disciplines instrumentales classiques et contemporaines du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris, ainsi que les musiciens de L’Itinéraire, rendent hommage, ce soir en salle d’orgue.
Après les discours d’usage, les flûtistes Chloé Gaucher et Federico Altare prennent place au centre du plateau : de part et d’autre de l’espace sont installés leurs consœurs et confrères – quatre en touche gauche, trois en touche droite et trois autres en salle, derrière le public, forment trois groupes qui spatialisent l’acoustique –, pour l’exécution, sous la direction de Jean-Christophe Vervoitte, de Sommerwind IV (2015), une page en trois mouvements créée par Juliette Hurel et Joséphine Olech il y a dix ans, sous la direction du compositeur, à Noyers-sur-Serein. « Avec une légèreté fantasque mais précise », avance Salvatore Sciarrino pour son Prélude pour piano (1969) auquel Antonio Ballista donna la jour en février 1970, à Trieste. Et c’est bien dans l’esprit de telle indication que Saori Ishikawa aborde cette œuvre à l’inventive et brève volubilité.
Le violoncelliste Albert Kuchinski présente ensuite une sorte de triptyque dont le panneau central est constitué d’Interlude (2017), une œuvre qui affiche son inscription dans l’esthétique spectacle et qu’Alexis Descharmes avait créée à l’été 2018 au Château de La Grange (Suilly-La-Tour) ; elle est ici sertie par deux pages de Johann Sebastian Bach, la Courante de la Suite un ut mineur BWV 1011 n°5 en amont, puis la Sarabande de la même Suite, dont la lenteur fort habitée et le long souffle concluent densément ce moment. Et le piano d’accueillir Saori Ishikawa et Chisato Taniguchi, qui donnent la quatrième partie de la Rhapsodie espagnole de Maurice Ravel, Feria, dans sa version à quatre mains (1907), dont on apprécie l’interprétation flamboyante.
La formule retable s’inverse pour la dernière section du concert, plaçant désormais une œuvre d’un autre compositeur au sein de deux pages de Fuminori Tanada. Ainsi entendons-nous Sommerwind IIIb (2018) pour quatre cors et orchestre à cordes, dont Dominique Dournaud menait la première en l’été 2018 à Villers-le-lac, au pupitre de l’Orchestre des étudiants du stage Galitzine, avec les solistes David Guerrier, Rémi Gormand, Quentin Rey et Maëlle Richard. Aujourd’hui, la partie solistique, conçue en répons qu’on pourrait presque qualifier de giratoires, est tenue par Manuela Bianchi, Benjamin Degrande, Hugo Thobie-Pereira et Adèle Galichet, placés, avec les cordes (huit violons, deux altos et deux violoncelles), sous la battue de Jean-Christophe Vervoitte. On admire la troublante efficace de l’écriture de Tanada dans les échos d’une microtonalté brouillée, parfois proche d’Accords perdus de Gérard Grisey. Au cœur de ce chapitre, nous retrouvons Cloches d'adieu, et un sourire... in memoriam Olivier Messiaen (1992) conçu par Tristan Murail juste après la disparition du compositeur, et créé à Villeneuve-Lès-Avignon par Dominique My dans l’été qui s’ensuivait. D’un hommage l’autre, c’est donc à Tanada, qui a beaucoup joué Murail [lire, entre autres, notre chronique de Territoires de l’oubli], que Chisato Taniguchi le dédie maintenant. Douze jours avant que l’artiste s’éteigne, Mathieu Romano et L’Itinéraire firent naître Echoing Bells II, sa dernière page, au Conservatoire municipal du XIVe arrondissement Darius Milhaud. Il revient à ces mêmes musiciens de la rejouer ce soir. Il est diversement question de cloches, à nouveau, ou plus précisément de cette sorte d’indicible fragilité d’airain typiquement campanaire – de l’autre côté des Alpes, on dite stonato come una campana – qui hante la majesté d’accords n’imposant pas d’autorité au lyrisme qui, telle une résurgence presque mahlérienne, survient et mène à l’affleurement ultime de l’aura du battant.
Bel hommage, assurément, que celui rendu à Fuminori Tanada (1961-2025) par ses collègues et élèves du CNSMD comme par ses camarades de L’Itinéraire.
BB
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