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Chroniques
Georg Friedrich Händel | Alcina, opera seria HWV 34
Katarina Bradić, Kathryn Lewek, Lauranne Oliva, Carlo Vistoli, etc.
Alcina d’Händel est donnée, dans le cadre d’une courte tournée, en concert au Théâtre des Champs-Élysées, après la première à Montpellier l’avant-veille et avant Barcelone puis Madrid, ces prochains jours. Après avoir chanté le rôle de Ruggiero pendant des années, le contre-ténor Philippe Jaroussky intervient ce soir au pupitre de son ensemble Artaserse. Dès l’Ouverture, on apprécie l’énergie insufflée, le mordant des attaques et les rythmes marqués, souvent rapides. Pour exemple, l’air d’entrée d’Alcina, Di’, cor mio, quanto t’amai, paraît d’emblée véloce, sans possibilité d’alanguissement pour l’interprète, le chef apportant cependant une nuance piano sur la reprise. On remarque aussi, par instants, un manque de largeur de cette formation en petit effectif, ainsi que de fugaces passages qui ne sont pas toujours idéalement jolis. La virtuosité des cordes est généralement bien en place, mais un peu moins parfaite dans les plus vifs tempi.
Connue surtout, jusqu’à présent, pour ses qualités de soprano colorature, en particulier à travers ses nombreuses incarnations de la Reine de la nuit de la Flûte mozartienne (plus de trois cents fois entre Londres, Vienne, Berlin, Munich, Madrid, New York ou encore Aix-en-Provence), Kathryn Lewek endosse les habits de la magicienne. Il ne s’agit pas de sa première incursion dans le répertoire händélien, puisqu’elle fut Ginevra aux côtés de Cecilia Bartoli, à Salzbourg, puis à Monte-Carlo. Pour sa prise du rôle-titre, le soprano nord-américain emporte un triomphe absolument mérité, aussi bien pour les accès de fureur que pour les passages doloristes. Le da capo d’Ah! mio cor! Schernito sei en est le meilleur exemple, avec certaines notes émises en sons fixes qui accentuent la souffrance du personnage, avant que l’orchestre monte en crescendo pour accompagner la colère projetée avec force et des suraigus vengeurs. La conclusion du II, Ombre pallide, forme aussi un moment spectaculaire, aux aigus aériens qui impressionnent tout autant que l’agilité [lire nos chroniques de The merchant of Venice, Ariodante et Die Zauberflöte]. Sous les applaudissements enthousiastes, le chef mène la chanteuse des coulisses au plateau afin qu’elle accueille, visiblement émue, ces acclamations.
En Ruggiero, Carlo Vistoli fait presque jeu égal, à l’applaudimètre. Son air d’une pure et douce élégie, Verdi prati, selve amene, contraste d’ailleurs fortement avec l’intervention colérique de la magicienne, en fin d’Acte II. Le contre-ténor italien varie à merveille les nuances forte/piano pendant ces doux passages, prenant un mot en piano subito ou enflant une note à un autre endroit. Les moments d’agilité sont également bien conduits, le chanteur ajoutant à loisir quelques fioritures. Abattage, endurance et vaillance culminent sur Sta nell’ircana, pietrosa tana, air de bravoure du III où les deux cors naturels ne font pas toujours preuve de la même précision d’intonation [lire nos chroniques du 8 septembre 2020, du 25 juillet 2022, des 7 janvier et 25 octobre 2023, du 2 février 2024, enfin des 6 février et 21 août 2025].
À vingt-cinq ans, Lauranne Oliva est encore une jeune artiste, mais n’en développe pas moins une carrière fulgurante. Entendue dans Monteverdi et dans Mozart [lire nos chroniques d’Orfeo et de Mitridate], elle tint magnifiquement le rôle-titre de La Calisto en juillet dernier. Le soprano franco-catalan chante ici Morgana, avec une pulpe vocale d’une agréable fraîcheur, une musicalité sans faille et un solide bagage technique. Le volume se fait généreux et les vocalises sont bien huilées, comme au cours de l’air qui termine le premier acte, Tornami a vagheggiar, agrémenté de notes piquées lors du da capo.
Katarina Bradić interprète Bradamante, d’ailleurs tout comme il y a dix ans au festival provençal, aux côtés d’un certain… Philippe Jaroussky ! La vélocité et la précision des passages d’agilité éblouissent, les enfilades étant idéalement détachées les unes des autres. Le timbre séduit également, bien qu’il soit dommage que l’instrument manque de volume pour nous en faire profiter davantage [lire nos chroniques de Béatrice et Bénédict, Justice et Cassandra]. Le ténor Zachary Wilder compose un Oronte expressif à la voix probe, d’une importante longueur de souffle pour nourrir le legato. Il fait aussi preuve de souplesse, parfois à la limite pour les moments fleuris les plus rapides [lire nos chroniques d’Armide, Le désert, Giulietta e Romeo, Orfeo et Il ritorno d’Ulisse in patria]. Basse au grain autoritaire et parfois un peu fragile sur les notes les plus aiguës, Nicolas Brooymans complète en Melisso [lire nos chroniques de Combattimento, Ariadne auf Naxos et La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina}. Sont à noter les absences d’Oberto ainsi que du chœur, les solistes prenant ces parties brèves, y compris Morgana et Alcina pour le dernier numéro où les victimes des sortilèges reprennent forme humaine.
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