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Chroniques
Don Giovanni | Don Juan
opéra de Wolfgang Amadeus Mozart
Reprise et fin de voyage pour la mise en scène de Claus Guth du Don Giovanni créée au Salzburger Festspiele en 2008. Pour ce troisième opus de sa trilogie Da Ponte, Guth s’entoure d’un cast de mozartiens confirmés, pour la plupart issus de la création ou de sa reprise en 2011.
Christopher Maltman [lire notre chronique du 15 décembre 2007] confirme qu’il est l’un des plus grands Don Giovanni actuels, excellent chanteur doublé d’un acteur charismatique et crédible, parfait dans cette production qui de lui fait dès le début un héros mortellement touché par le revolver du commandeur. Il vit ensuite un flashback en temps réel jusqu’à sa mort, au finale. Le Leporello d’Adrian Sâmpetrean est bien meilleur dans le second acte que dans le premier, le manque d’agilité et le grave s’accordant plus au personnage noir et controversé de la deuxième partie – ombre de Giovanni jusqu’à la ressemblance physique lorsqu’il a les yeux bandés – qu’au dragueur du début dontl’air du catalogue manque de légèreté.
Rollando Villazón a beaucoup perdu dans les aigus, mais convainc par le jeu et une technique vocale intéressante qui soutient ses deux grands airs grâce à un medium très maîtrisé. Son Ottavio est un personnage incontestablement trop nerveux, mais c’est le seul de cette mise en scène à garder un ton comique, à l’opposé du traitement violent appliqué à Masetto qui prend singulièrement mal l’interruption de son mariage. Le seul rôle décevant est celui du Commandeur, dont ni le manque de présence, ni le timbre trop doux, ni la qualité moyenne du chant ne permettent de louer Jan Martiník ; il produit même une chute de tension au dernier tableau, malgré la coupure qui évite le retour de tous les protagonistes après la mort du rôle-titre.
Le traitement des personnages féminins est moins perfectionné et la forêt tournante, somptueusement réalisée par les équipes de Christian Schmidt, qui sert d’unique décor s’accorde plus aux relations de force des hommes qu’aux démonstrations de charme des chanteuses. Zerlina reste la petite frivole attendue, campée par une Anna Prohaska qui, bien qu’annoncée malade, n’en demeure pas moins efficace : sa voix légère et douce correspond idéalement au rôle. Donna Anna prend ici de l’ampleur par rapport à Salzbourg, confiée à l’expérimentée Christine Schäfer qui toutefois correspondait plus au personnage dans la production de Tcherniakov (Madrid, 2013). La seule incarnation qui s’impose en véritable osmose entre metteur en scène et actrice-chanteuse se révèle être celle de Dorothea Röschmann en Elvira, déjà présente à Salzbourg en 2008. L’intelligence du chant et la maîtrise permanente d’une ligne précise ajoutent du poids à un personnage souvent sous-utilisé dans les versions plus « classiques » ; loin d’une femme facile qu’il serait aisé de prétendre folle, elle s’affirme sûre d’elle et garde le contrôle sur les hommes.
Élément majeur de cette soirée, la Staatskapelle Berlin est dirigée par Daniel Barenboim sans aucune ambivalence. Inutile d’y chercher traces baroques et cuivres incertains (mais « d’époque ») : ce Mozart est allemand et suit la ligne des grands maîtres des années cinquante à soixante-dix. À peine allégé de quelques doublons et placé dans une fosse surélevée, l'orchestre est parfaitement préparé et sonne toujours exactement, se faisant régulièrement oublier tant il est naturel et en accord avec le propos scénique.
La qualité de la production, le soin apporté à la distribution, un grand orchestre et l’un des plus grands chefs actuels font de cette reprise un fort beau moment de musique et de théâtre (duquel nous ne pourrons que regretter le manque de tension de la coda qu’aurait magnifiée Franz-Josef Selig qui tenait le rôle à Salzbourg).
VG