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Chroniques
récital Christopher Maltman
Beethoven, Loewe, Schumann et Wolf
S'il est un menu tant inspiré que pertinemment construit, c'est bien celui de ce moment de musique soigneusement mitonné par le baryton britannique Christopher Maltman ! Avant une élégante promenade parmi les poètes français du XVIIe siècle en compagnie des compositeurs du début du XXe, il offre une Goethefeier avec la complicité des musiciens romantiques. Tout en révélant une architecture dont le raffinement témoigne discrètement de la culture et de l'imagination de l'interprète, ce programme ne s’en tient pas au plus attendu, livrant quelques précieuses raretés.
Goethe, d'abord. Goethe vu par son contemporain Ludwig van Beethoven qui en illustre le Mailied (Op.52 n°4) à la fin du XVIIIe siècle. Soutenu par l'accompagnement finement ciselé de Graham Johnson, le chanteur charme immédiatement par cet hymne à la nature qu'il orne d'une expressivité délicatement épurée de toute emphase. Mit einem gemalten Band (Op.83 n°3) nous fait caresser son timbre projeté jusqu'en son grain. Cet épisode introductif illustrant l'étape du penseur à Strasbourg et Sessenheim se poursuit avec Heidenröslein (D257) de Franz Schubert (il comptait quatre ans lorsque disparut le poète), un Lied où l'on goûte de subtiles demi-teintes, des attaques aiguës d'une remarquable souplesse, mais surtout une conduite de la nuance qui, pour exquise qu'elle soit, n'est jamais maniérée. Dans Willkommen und Abschied (D767), Christopher Maltman met en valeur des qualités qui contrastent avec ce climat : une vaillance évidente et une solidité indubitable mues par une saine vigueur. Plus intérieure, la troisième strophe (« Dich sah ich und die milde Freude… ») bénéficie alors d'une véhémence retenue que rehausse d'autant la respiration judicieusement théâtrale de sa conclusion.
Goethe à Weimarest ouvert par Ballade des Harfners (Op.98a n°2) de Robert Schumann : là, le baryton survole son grave en légèreté, sans en dissiper pourtant le muscle. Survient le trop rare Carl Loewe et sonLynceus der Thürmer, auf Faust Sternwarte singend (Op.9 n°3) que Graham Johnson amorce dans un phrasé joliment brumeux, une couleur que son piano gardera jusqu'à l'ultime mesure ; on regrettera néanmoins le peu de stabilité des quelques motifs vocalisés. En revanche, Der Zauberlehrling (Op.20 n°2) jouit d'une verve incroyable, la voix s'y faisant conteur facétieux, suspendant le public à chaque mot. Le second motif du sixième couplet rencontre un saugrenu exquis, menant bientôt à la fébrilité la plus crédible, jusqu'à l'arrivée du maître, scellée par une efficace rupture de la couleur vocale. Moins appuyée, cette présence dramatique traverse avantageusement l'interprétation d'Erlkönig (Op.1 n°3).
La troisième halte est orientale, avec Geheimes de Schubert (D719), sensiblement nuancé, sans effets inutiles. Nous retrouvons Schumann par Freisinn (Op.25 n°2) qu'honore une pâte vocale d'une rare égalité, puis Sitz'ich allein et Setze mir nicht du West-östlichen Divan (Op.25 n°5 et n°6), par le plus célèbre Talismane (Op.25 n°8), enfin. Le tardif Hugo Wolf et ses étonnantes mixités parlées viennent clore l'exploration, avec Was in der Schenke waren heute (Goethe Lied n°38) qui porte l'art de l'accompagnement vers une modernité toute lisztienne.
Après l'entracte, Christopher Maltman trouve en Tes yeux bleus d'Emmanuel Chabrier, nimbé de réminiscences wagnériennes (deuxième et troisième des Wesendonck), une heureuse transition vers la mélodie française. Si sa Gwendoline s'avère volontiers bayreuthienne, l'Auvergnat ne dédaigna aucune friandise, comme nous le rappelle son Lied au parfum d'opérette, par certains aspects plus proche d'España. Après les vers bien oubliables de Marcel Rollinat, les sous-entendus un rien vulgaires de Catulle Mendès mènent à une Chanson pour Jeanne que fort adroitement le baryton ne rend point trop niaisement larmoyante, puis aux Cigales de Rosemonde Gérard (Mme Rostand), franche mièvrerie décorative tout à fait dispensable.
Au début du siècle dernier, quelques-uns de nos compositeurs recherchèrent l'esprit français dans les poètes et dramaturges du XVIIe. Bien sûr, chacun devait rencontrer là ses propres caractères, ce panthéon se faisant alors miroir. Ainsi la libre-pensée du moderne et libertin Théophile de Viau (1590-1626) retint-elle toute l'attention de Reynaldo Hahn dont la réputation peut aisément se projeter dans les préférences érotiques avouées par son illustre aîné. Il ménage un dessin néobaroque délicatement pastiché aux vers d'À Chloris que Graham Johnson nimbe d'une tendresse indicible. Ici, la voix se fait velours. Quant à lui, le Montpelliérain Émile Paladilhe se pencha sur les rigueurs passionnées de Pierre Corneille dont il mit en musique Psyché.
La poésie des anciens féconda plus d'une fois la créativité de Claude Debussy. Sa musique visite Charles d'Orléans (1394-1465) dès 1898, puis en 1904, convoque la même année Tristan L'Hermite (1601-1655) dans ses Trois chansons de France, interprétant six ans plus tard Le promenoir des deux amants qui partage cette veine avec les Trois ballades de François Villon (1431-1463). Nous croisons au piano le motif délicat de Des pas dans la neige dans Auprès de cette grotte sombre, le premier épisode du cycle. Le baryton dépose chacun des trois poèmes presque à mi-voix, fondant la couleur dans l'articulation masquée de l'accompagnement. Cette pudique expressivité traverse des brumes envoûtantes qui inscriront dans nos mémoires ce passage comme le sommet du récital.
Pour finir, le chanteur a choisi trois des Chansons gaillardes imaginées par Francis Poulenc sur des textes anonymes du XVIIe siècle et composées juste après ses Poèmes de Ronsard (1926). Outre une diction d'une exemplaire intelligibilité, on apprécie (tout au long de cette seconde partie) l'art de la nuance, l'intelligence du texte et le bel esprit avec lesquels Christopher Maltman sert ce répertoire.
BB