Chroniques

par bertrand bolognesi

Dmitri Chostakovitch / Mieczysław Weinberg – Chapitre II
Andreï Korobeïnikov avec quatre musiciens du Philhar’

Sophie Groseil, Jean-Philippe Kuzma, Arno Madoni et Catherine de Vençay
Auditorium / Maison de la radio et de la musique, Paris
- 16 novembre 2025
Andreï Korobeïnikov et les musiciens du Philhar’ jouent Mieczysław Weinberg...
© diane de wrangel

Le cycle Chostakovitch/Weinberg de l’Orchestre Philharmonique de Radio France se poursuit in loco avec ce moment chambriste donné par quatre musiciens de la formation radiosymphonique, ici rejoints par Andreï Korobeïnikov. Ainsi, après la Symphonie Op.152 n°21 de 1991, entendue lors du fort beau concert d’ouverture [lire notre chronique de l’avant-veille], quittons-nous aujourd’hui la maturité du compositeur pour le retrouver à l’âge de vingt-cinq ans, installé depuis cinq ans dans une URSS plongée depuis dans la Grande Guerre Patriotique (Великая Отечественная война, 1941-1945).

Avant que de faire apprécier le Quintette avec piano Op.18 du Varsovien définitivement exilé, les artistes offre une interprétation minutieusement soigné du Quatuor en fa mineur Op.122 n°11 dontDmitri Chostakovitch, disparu il y a cinquante ans, achevait l’écriture le 30 janvier 1966. Composée lors d’un cure de repos au bord du golfe de Finlande, l’œuvre est dédiée au second violon du Quatuor Beethoven, l’ami Vassili Chirinski, brutalement décédé durant l’été. Depuis 1938, ces quartettiste collaboraient étroitement avec le Pétersbourgeois dont ils ont créé quatorze des quinze opus destinés au genre ; de même créèrent-ils donc le Onzième à Léningrad, le 28 mai 1966 (avec Nikolaï Zabavnikov pour nouveau partenaire). Cette année est celle de la Préface à l’édition complète de mes œuvres pour basse et piano Op.123, de l’adaptation de l’opéra Lady Macbeth de Mzensk pour le film qu’en réalisait alors Mikhaïl Shapiro, enfin du Concerto pour violoncelle Op.124 n°2, autant de pages situées entre la Treizième Symphonie Op.113 “Babi Yar”. et la Quatorzième Op.135 (1962 et 1969). À fleur d’archets, Arno Madoni et Jean-Philippe Kuzma (violons), Sophie Groseil (alto) et Catherine de Vençay (violoncelle) magnifient le raffinement des relais et des contrastes, entre fondus et ruptures plus tranchées, tout au long des sept sections enchainées.

1944… Pour Chostakovitch, c’est le temps de deux musiques pour le cinéma – Zoïa (Leo Arnchtam), Zoé (Charles Brabant) –, de la Huitième Symphonie Op.67 “Stalingrad”, du Trio avec piano Op.67 n°2, du Deuxième Quatuor à cordes et d’un Recueil pour enfants (sept pièces pour piano) Op.69. Pour Mieczysław Weinberg, c’est celui des Livres I Op.16 et II Op.19 des Carnets pour enfants, de la Sonate pour violon et piano Op.15 n°2, du Quatuor à cordes Op.14 n°3 et des Chants juifs Op.17. En ce qui nous concerne cet après-midi, c’est surtout celui du Quintette avec piano Op.18, auquel le Quatuor du Théâtre Bolchoï et le pianiste Emil Gilels donnèrent le jour le 18 mars 1945, à Moscou.

Il existe parfois de troublantes concomitances. Alors que Béla Bartók concevait à l’été 1945 son Concerto pour piano n°3 inachevé quand survient sa mort, c’est durant l’été précédent que Weinberg invente son Opus 18 dont le thème élégiaque livré par le piano sur les cordes paysagistes, au tout début du Moderato con moto initial, paraît a posteriori rappeler (dans le désordre, osé-je) celui qu’impose le soliste dans les premières mesures de l’œuvre du Hongrois. Ce motif gagne rapidement les quartettistes, dans un lyrisme abondant qui fait la patte du compositeur, sur ce point à l’opposé du sévère ascétisme de Chostakovitch. Outre l’inspiration et la souplesse de la réalisation quartettiste, on admire la délicatesse du pianiste russe, une nouvelle fois radicalement concentré dans la musique [lire nos chroniques du 24 juillet 2009, du 11 janvier 2010, du 18 octobre 2013, des 10 juin, 6 septembre et 14 décembre 2018, du 11 juin 2023, des 12 et 17 avril 2024, enfin du 9 juin 2024]. Dans une couleur subtilement obombrée, Sophie Groseil introduit de l’alto la conclusion de l’ardent Allegretto. Au Presto d’alors commencer en glissades feutrées que rehausse le souvenir de l’élégie première, bientôt contredit par un épisode dru de piquées-répétées, presque frénétique, menant à une valse féroce au caractère rogue, traversée d’une semi-sicilienne faussement nonchalante, avant son réengagement dans un pas vertigineux. L’âpre homorythmie préludant le douloureux Largo, où se dessine un trait violonistique éperdument chanté par Arno Madoni, est suivie d’un bref entrelacs des cordes puis d’un grand solo pianistique où l’on goûte le talent d’Andreï Korobeïnikov. Via une résurgence fantôme du thème dominant, le violoncelle dignement plaintif de Catherine de Vençay gagne alors l’édifice, lançant un vaste développement qui se conclut dans le squelette pizz’ dudit thème, reconstruit puis abandonné sotto voce. Une ardeur entêtée singularise l’entame de l’Allegro agitato final, soudain convertie en fugato d’inspiration folkloriste. D’abord sans le violoncelle, une Coda vient conclure sans que son pianississimo renonce au danger. Parfaite d’équilibre, l’exécution s’évanouit dans un harmonique finement délivré par Catherine de Vençay.

Ainsi se clôt le deuxième rendez-vous du cycle Chostakovitch/Weinberg, qui permit de préciser toujours plus la musique de chambre du cadet [lire nos chroniques de Sonate pour clarinette et piano Op.28 (1945), Trio en la mineur Op.24 (1945), Quatuor à cordes Op.66 n°8 (1959) et Sonate pour violoncelle et piano Op.63 (1959)]. Après-demain, le public de l’auditorium abordera le Concertino pour violon et cordes Op.42 (1948) et le Concerto pour flûte et cordes Op.75 n°1 (1961) dont nous parlera notre confrère. Dernière précision : s’il faut au mélomane non-parisien attendre le 5 décembre pour entendre la diffusion de ce concert par France Musique, celui de vendredi, transmis en direct (de même que le seront ceux du mardi 18 et du vendredi 21 novembre), est disponible sur le site de la chaîne.

BB