Chroniques

par irma foletti

Deidamia | Déidamie
opéra de Georg Friedrich Händel

Wexford Festival Opera / National Opera House
- 26 octobre 2025
Le chef George Petrou signe aussi la mise en scène de DEIDAMIA à Wexford
© pádraig grant

Il est à parier que les représentations de la rare Deidamia d’Händel resteront comme la grande réussite de cette soixante-quatorzième édition du Wexford Festival Opera (WFO). Musique, voix, mise en scène, tout concourt à déclencher un enthousiasme sans retenue. Et en premier lieu, la superbe musique dirigée par George Petrou, aux commandes de l’Orchestra of the Wexford Festival Opera avec, pour le continuo, l’ajout d'un théorbe, d’un violoncelle baroque et d’un clavecin. Un rapide coup d’œil dans la fosse confirme d’ailleurs la présence d’instruments classiques, pas spécialement informés historiquement. Et pourtant, dès les premières notes, on peut entendre un son qui colle idéalement à cette musique, l’orchestre affirmant sa place tout en laissant les voix s’épanouir sur le plateau. Le chef d’orchestre grec rend cette partition passionnante, y compris les nombreux da capo. Il impulse du mordant sur certaines attaques, donnant du caractère, du nerf à l’inflexion, mais aussi de l’expressivité, avec toujours un sentiment de naturel, sans forcer les nuances.

La distribution vocale se révèle particulièrement étoilée. En tête, la splendide Deidamia de Sophie Junker. Le soprano franco-belge semble au sommet de ses beaux moyens, sa voix ample est d’une pureté charmante à l’oreille et toujours extrêmement précise d’intonation. Elle allège avec goût les passages les plus doux et maîtrise tout aussi bien le chant d’agilité, comme dans l’air Nasconde l'usignolo, qui conclut le premier acte, où elle imite à l’envi le chant des oiseaux, paraissant se rire des difficultés techniques, entre colorature, notes piquées et trilles. Plus tard, l’interprète amène un fort contraste entre l’air élégiaque et touchant de l’Acte II, Se il timore il ver mi dice et, par exemple, le passage davantage de fureur du III envers Ulisse [lire nos chroniques de Die lustigen Weiber von Windsor, La divisione del mondo, Serse, Johannes-Passion, Cantates, enfin de Deborah]. Le soprano britannique Sarah Gilford se montre également excellent en Nerea. La chanteuse est sans doute moins puissante que sa consœur, mais son timbre très agréable séduit tout autant. Le chant rapide est bien en place et l’interprète amène parfois de petites variations dans les reprises, comme les suraigus ajoutés dans l’air Sì che desio.

Côté masculin, le rôle d’Achille est tenu par Bruno de Sá, l’actuelle star sopraniste [lire nos chroniques d’Alessandro nell’ Indie, Stabat Mater, Roméo et Juliette et du récital au Festival d’Ambronay]. L’artiste brésilien trouve ici un emploi qui sied à merveille à sa voix comme à son jeu théâtral. Achille a été envoyé sur l’île de Skyros par son père, pour échapper à la prophétie de sa mort lors de l’attaque de Troie. Il est déguisé en femme, amoureux de Deidamia, la fille de Licomede, roi de Skyros. Mais le héros finira par se trahir et suivra Ulisse et Fenice, venus le chercher pour mener la guerre, sa présence étant nécessaire à la victoire. Le travestissement de Bruno de Sá en fille est d’un naturel confondant, et l’interprète joue avec un humour idéalement dosé l’homme viril adepte des armes et du combat. La voix impressionne toujours autant, capable d’ascensions vertigineuse, avec une couleur réellement féminine. L’air Ai Greci questa spada, où il se dévoile pour rejoindre les Grecs, est un grand moment d’abattage et de virtuosité. Autre tessiture aérienne, le contre-ténor Nicolò Balducci séduit d’emblée en Ulisse, doté d’un beau timbre et d’un instrument apte au volume [lire nos chroniques de Xerse et de Mitridate, re di Ponto]. Les passages d’agilité ne sont cependant pas tous homogènes, certains bien réussis mais d’autres où l’intonation devient moins parfaite. La voix profonde de la basse Petros Magoulas convient bien au rôle du roi Licomede, de même que la longue chevelure blanche et le bâton de pèlerin. En Fenice, le baryton Rory Musgrave, voix plus obscure, a une belle présence scénique et complète agréablement le cast [lire notre chronique de L’aube rouge]. Il faut encore indiquer l’absence de choristes, les solistes prenant les maigres parties de chœur.

Le chef signe lui-même la mise en scène, avec l’appui des décors et des costumes variés et imaginatifs de Giorgina Germanou. Les images de l’Ouverture promettent beaucoup : un bateau échoué sur le plateau, tandis que sont projetées des vidéos de ciel nuageux, puis de mer agitée. On enchaîne avec quelques touristes débarquant pour des Skyros holidays, leurs interventions régulières formant des petites saynètes en parallèle de l’argument. L’entrée en scène de Deidamia et de Nerea contraste, avec des jeunes femmes pressant du raisin dans une scénographie bucolique aux feuillages de vigne. Les gags arrivent avec plus ou moins de bonheur – pendant un air d’Achille, par exemple, on préfère se concentrer sur Bruno de Sá plutôt que sur le figurant qui remonte depuis la fosse d’orchestre un poisson à la canne à pêche. On sourit, en revanche, sans retenue pendant l’air d’Ulisse qui s’ensuit, quand la première partie lente est illustrée par un joyeux mariage sur la plage. Le passage à la section centrale agitée est plus spectaculaire : la mariée, voulant prendre un inévitable selfie avec le mobile de son futur, découvre vraisemblablement des messages ou des photos compromettants et part en furie… mariage bien ébréché, donc ! D’autres tableaux participent à la réussite globale, comme quand Ulisse et Licomede échangent dans les fonds marins, puis Licomede qui chante Nel riposo e nel contento avec un grave abyssal, bien en phase avec cette profondeur subaquatique. En fin de spectacle, l’annonce de la prochaine superproduction Odissey, avec présentation de l’ensemble des protagonistes en super-héros, est aussi un bon moment.

IF