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centenaire Luciano Berio
Stéphane Degout, Héloïse Werner, Neue Vocalsolisten, Ars Nova
Un 24 octobre naissait en Ligurie, à quelques pas de la frontière italo-française, un futur grand musicien. C’était en 1925, on l’appelait Luciano Berio… et nous savons donc tous de qui il s’agit ! En cette année 2025, presque achevée mais point encore, le monde de la musique aura célébré plusieurs anniversaires. Entre les cent ans de la disparition d’Érik Satie, les cent cinquante ans de la naissance de Maurice Ravel, le centenaire de la naissance de Pierre Boulez et les cinquante ans de la mort de Dmitri Chostakovitch, il était bien temps de fêter la venue au monde de Berio, ce que firent plusieurs formations orchestrales, bien qu’avec deux de ses opus, les Folk Songs de 1964, peu représentatif du compositeur italien, et ses Sequenze, nettement plus déterminantes, pour ses propres recherches comme pour les générations qui suivirent. Si nous nous réjouissons que les éditions de la Philharmonie aient fait paraître l’intégralité des écrits de Berio (en traduction française), ces dernières semaines, saluons également l’initiative de l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui, ce week-end, rend hommage au musicien avec deux concerts.
Deux œuvres majeures et bien connues de Berio font le programme de l’événement. Berio en vedette et, à travers lui, deux fils rouges : la création, bien sûr, avec deux pièces à découvrir de jeunes compositrices, mais encore Gustav Mahler dont plusieurs pages firent l’objet d’orchestrations et d’adaptations diverses. Ainsi la première soirée, vendredi à l’Auditorium, est-elle inaugurée par la première mondiale de sea sons seasons de Bára Gísladóttir qui brille par sa cruelle pauvreté d’invention. Ces quinze minutes d’une musique climatique concentrée sur trois notes-pôles parurent durer plusieurs heures tant tout y sembla prévisible et facile, sans imagination, mais encore d’une sidérante niaiserie. Le lendemain, nous entendons siren suite, cinq mouvements pour soprano et orchestre composés par Héloïse Werner qui les vient elle-même créer sur la scène du Studio 104. L’héritage de Berio et, surtout, de Cathy Berberian, est évident dès les premières mesures, mais le registre s’avère bientôt nettement plus limité et l’expressivité timorée, par-delà quelques traits d’un humour plutôt complaisant et un épisode modal qui n’est pas sans rappeler la vocalité du début de la seconde partie d’Outis – nous sommes en 2025, que diable !
Gustav Maher, donc. À plusieurs reprises Luciano Berio s’est ingénié à donner à l’orchestre des pages que son aîné ne lui avait pas destiné. Ce déploiement vers le grand format, pour ainsi dire, connut avant lui un mouvement inverse, lorsque, pour faciliter la diffusion de l’œuvre mahlérien il s’est agi de réduire les effectifs afin de les exécuter dans de plus humbles conditions. Ainsi Schönberg s’attela-t-il à Das Lied von der Erde, quand son élève Erwin Stein offrait à huit musiciens la possibilité de jouer la Quatrième Symphonie. En 1941, c’est Stein qui, pour les éditions Boosey & Hawkes, commande à Benjamin Britten une transcription pour effectif de chambre du troisième mouvement de la Symphonie en ré mineur n°3 (1895-96), que Mahler pensait d’abord intituler Was mir die Tiere im Walde erzählen, soit Ce que les animaux de la forêt me disent. Sous la battue de Marzena Diakun, le Philhar’ livre une lecture d’une grâce inouïe de cette page mahlérobritténienne qui porte désormais le titre What the wild fowers tell me, soit Ce que les fleurs sauvages me disent. On y peut admirer la souple tendresse du hautbois d’Hélène Devilleneuve, l’élégance de Magali Mosnier à la flûte, mais encore le lyrisme généreux que véhiculent les cordes, à commencer par le premier violon solo, très coloré, dont la partie est magnifiée par Hélène Collerette. La partition fait belle part à la petite harmonie, avec les bassonistes Jean-François Duquesnoy et Hugues Anselmo, discrètement insistants, ainsi que l’insert prégnant de clarinette par Jérôme Voisin, sans oublier la douceur tranquille d’Alexandre Collard au cor.
La veille, il revint à Pascal Rophé de faire sonner les Fünf frühe Lieder de l’illustre Bohêmien de Vienne. Édités en 1892, ces Lieder de jeunesse n’ont jamais été orchestrés par le maître. Aussi Luciano Berio s’y est-il penché activement, en vue d’une création lors des Gustav Mahler Musikwochen de Toblach (ou Dobbiaco, en Alto Adige, autrement dit Südtirol, en cette région italienne bilingue). Après la création de ces cinq-là, par Thomas Hampson et l’Haydn-Orchester von Bozen und Trient (Orchestra Haydn di Bolzano e Trento) placé sous la direction d’Hermann Michael, le compositeur italien se lançait dans l’orchestration de six autres mélodies (Hans und Grete, Ich ging mit Lust durch einen grünen Wald, Frühlingsmorgen, Phantasie et Erinnerung) dont il dirigerait lui-même la première en décembre 1987 au pupitre de l’Orchestra Sinfonica dell’Emilia Romagna in loco, la partie de baryton étant une nouvelle fois confiée à Thomas Hampson. Ici, la première série (1986) revient à Stéphane Degout qui n’en vient guère à bout. La bonne chose, c’est sa diction allemande qui s’est nettement améliorée, bien qu’elle demeure quelque peu entachée d’une nasalisation assez encombrante qui, si l’on s’évertue à y trouver avantage, sonne décidément très viennois. Mais alors que l’Orchestre Philharmonique de Radio France sert somptueusement le cycle, le baryton français est à la peine, se révélant exsangue dans le grave de la tessiture, acide dans le registre haut et, partout, haletant et tremblant. L’artiste possède assurément des qualités, mais dans d’autres répertoires, et c’est à une erreur de distribution que l’on doit les désagréments de cette interprétation improbable.
Le premier épisode de ce duo de concerts ne s’est pas non plus conclu de probante façon. Nous étions très heureux de retrouver la Sinfonia de Berio (1968-69), œuvre quasiment fétiche de la musique du second XXe siècle et de celle du musicien italien en particulier… n’était une sonorisation oublieuse qui laissa les Neue Vocalsolisten, pendant toute l’exécution, dépourvus de micros réellement branchés. Il n’était certes pas inintéressant d’entendre uniquement la partie d’orchestre, vaste panorama de l’histoire de la musique orchestrale, généreusement traversée par Mahler, entre autres, mais cet uniquement constitue une privation non choisie et, nous l’espérons, involontaire, qui vient purement et simplement annuler la réception de l’œuvre. Avec bonheur, on retrouve samedi Laborintus II (1963-65) dont Berio avait dirigé la création mondiale à la Maison de l’ORTF, institution à l’origine de sa commande, dans le cadre du sept centième anniversaire de la naissance de Dante. Depuis quinze ans, le poète Edoardo Sanguineti n’est plus là pour tenir la partie de récitant par lui-même concoctée, mais le comédien Serge Maggiani honore indéniablement cet aspect de la partition. Les solistes de l’ensemble Ars Nova en font l’un des autres ingrédients indispensables, au fil d’une lecture qui atteste l’éternelle jeunesse de l’œuvre. Outre l’engagement des musiciens et la direction précise de Marzena Diakun, saluons l’équipe venue de l’Ircam assurer la teneur électronique – Jérémie Bourgogne et Yann Brecy.
À l’issue de ce week-end Luciano Berio, voire de l’année 2025 désormais assez certaine, nous manquent terriblement Allelujah II, Différences, Epiphanies, Call et Echoing curves, pour ne pas évoquer les opéras qui auraient pu retrouver leur aura sur quelqu’une de nos scènes lyriques. Aussi Folk Songs, Sequenze, Sinfonia et Laborintus II figurent-ils en mieux-que-rien d’un anniversaire un peu chiche, avouons.
BB
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