Recherche
Chroniques
Arabella Steinbacher joue le Concerto d’Aram Khatchatourian
Kazuki Yamada dirige l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Il est des soirées où il vaut mieux oublier l’heure du concert et somnoler benoîtement dans sa chambre d’hôtel... Celle-ci en est. Du célèbre compositeur d’opérettes Franz Lehár, la fantaisie symphonique Eine Vision, meine Jugendzeit n’encombre pas les salles de concert, voire n’aurait jamais fait l’objet de leurs programmes, à en juger par l’indication « création » qui figure sur la brochure de celui-ci. Sous-titré ouverture, cet Une vision, ma jeunesse de 1907 ne présente d’intérêt que parce qu’il demeure inconnu, mais en lui-même, il s’affirme largement dispensable. Faudra-t-il rappeler au lecteur ce qu’à ce moment l’on écrivait sous la même latitude ? Gustav Mahler, l’aîné de dix ans, se tournait d’une certaine façon vers sa jeunesse, lui aussi, en signant sa Huitième Symphonie dont la modernité chorale n’avait alors d’égal que Das klagende Lied conçu lorsqu’il comptait vingt printemps ; et les trois Viennois n’étaient pas en reste, Schönberg avec son Quatuor Op.10 n°2 avec voix, Berg avec les Sieben frühe Lieder et, surtout, la Sonate Op.1, enfin Webern et sa Passacaille. À la fois sucrée et pompeuse, l’écriture en est presque drôle, ce que ne fait que souligner la lecture maladroite de Kazuki Yamada qui, aux inflexions du mauvais goût, toujours répond « présente ».
Suit le Concerto en ré majeur pour violon et orchestre d’Aram Khatchatourian, imaginé pour David Oïstrakh qui le créa à l’automne 1940. L’approche de Yamada se contente de le brosser à gros traits, sans autre souci de certains passages que l’on sait mériter mieux. D’emblée, Arabella Steinbacher affirme un son prégnant, allant d’une relative raucité, ô combien expressive, vers une lumière un peu folle. Bien qu’ayant avantageusement gagné en corps sonore, en pâte, par rapport à son interprétation passée du Concerto en la mineur de Dvořák [lire notre chronique du 9 septembre 2004], l’artiste se garde bien de trop accentuer le caractère sentimentalo-kitsch du second thème, un aspect qui ne put que plaire au petit père des peuples (de fait, le Prix Staline 1941 saluera ce concerto). La cadence est à la fois généreusement chantée, étonnamment dansée et inventive avec la dynamique. Le retour du tutti n’en paraît que plus terne encore, la baguette japonaise ne faisant pas les bons choix, ne sachant profiter de l’orchestration comme il le faudrait, ce qui livre sans saveur jusqu’aux allusions folkloristes elles-mêmes. L’écriture timbrique plus subtile du début de l’Andante médian passe à la trappe, la prestation de l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo paraissant des plus lisses. La soliste a beau chanter merveilleusement, rien ne fera sortir l’écoute de langueurs et de touffeurs soporifiques. C’est qu’aussi l’œuvre n’est pas non plus majeure, il faut bien l’avouer. Ce qui intéresse Arabella Steinbacher à la jouer ? Mystère... il fallait s’y attendre : dans l’Allegro vivace conclusif, le chef se révèle apprenti dompteur plutôt que musicien ! On s’étonne du prix accordé par le public du concours de Besançon... ou l’on ne s’en étonne pas : le geste est joli, la silhouette élégante, la bouille avenante. Mais, à parler musique...
Et c’est ce que confirme son exécution de la Symphonie en ut mineur Op.78 n°3 de Camille Saint-Saëns, une œuvre dont on s’évertuerait à prouver la minceur sans y parvenir jamais et qui, ce soir, revêt une obésité désastreuse.
BB