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Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Die Zauberflöte | La flûte enchantée
En 1791, le projet Die Zauberflöte arrive dans une période tout à fait sombre de la vie de Mozart, si l’on considère les problèmes de santé et d’argent qui affectent son couple, la mort de son mécène Ignaz von Born (24 juillet) et la commande officielle de La clemenza di Tito, opera seria d’un genre alors désuet qu’il écrit sans conviction en moins de quatre semaines, pour une présentation à Prague en présence de Leopold II (6 septembre).
Conçu avec Emanuel Schikaneder (1751-1812), son frère maçonnique aux multiples talents (acteur, chanteur, poète, etc.), l’ultime opéra de Mozart est créé le 30 septembre 1791 au Theater auf der Weiden (Vienne), devant un public séduit par la nouveauté du singspiel, un genre modeste qui vise à mêler le meilleur de l’art européen : Lied allemand, aria italienne et romance française. Le compositeur Antonio Salieri et le soprano Caterina Cavalieri, tout particulièrement, goûtent le spectacle puisque le créateur – qui souhaite d’ailleurs assister à toutes les représentations – écrit à son épouse (14 octobre) :
« Tu ne saurais croire combien ils ont été aimables, comme tout leur a plu, non seulement ma musique, mais encore le livret et l’ensemble. Tous deux ont dit que c’était un opéra digne d’être représenté dans les plus grandes fêtes et devant les plus grands monarques et qu’ils reviendraient certainement le voir très souvent, car ils n’avaient vu plus beau spectacle et plus agréable ».
Passé de l’art de la marionnette à celui de l’opéra [lire notre chronique du 24 septembre 2009], le Sud-Africain William Kentridge signe l’habillage de Zauberflöte comme avant lui Kokoschka, Chagall ou Hockney [lire notre critique du DVD], mais sans leurs couleurs puisque son travail repose avant tout sur le fusain. Il comprend l’ouvrage « comme un regard critique sur les possibilités et les limites des Lumières – la lumière qui dissipe l’ignorance […] Mais, au cinéma, la lumière aveuglante signifie qu’il n’y a plus de film dans le projecteur ; on est laissé sans aucun sens ». L’ombre est donc nécessaire.
Présentée à Bruxelles en 2005, filmée à Milan en mars 2011, sa vision convoque un colonialisme oriental du XIXe siècle sur fond de perspective théâtrale typiquement baroque, avec appareil photographique à soufflets, tableau noir sur lequel voyage les trois génies et rhinocéros dansant au son de la flûte. Essentielles sans être encombrantes, projections et animations contribuent à brouiller les dimensions scéniques, ouvrant un espace indéfini et infini qui fait écho aux éléments supérieurs précieux à l’initiation des héros (le temps, le cosmos, etc.).
La distribution est également excellente. Charismatique, Günther Groissböck (Sarastro) offre un chant facile, mordant et velouté [lire notre entretien]. Très directionnel, Saimir Pirgu (Tamino) jouit d’un aigu très souple. Sain et précis, Alex Esposito (Papageno) incarne un personnage drôle mais aussi élégant. Detlef Roth (L’officiant) est vaillant autant qu’onctueux, tandis que Roman Sadnik (Un prêtre) séduit par sa clarté. Genia Kuhmeier (Pamina) s’avère idéale avec sa voix chaude aux aigus délicats. Enfin, Albina Shagimuratova (Königin der Nacht) possède la fiabilité attendue.
En fosse du Teatro alla Scala, Roland Böer respecte au mieux la fraîcheur et à la clarté de l’écriture. Attentive aux timbres, fluide et colorée, sa direction a la légèreté élégante et chantante de l’orchestre italien. On retrouvera le chef allemand (parlant italien et sous-titré en anglais) dans un reportage bonus d’une douzaine de minutes où il donne des clés sur l’importance du chiffre « trois » dans l’ouvrage et insiste, de même que Kentridge, sur celle de Pamina. [distribution DistrArt Musique]
LB