Chroniques

par katy oberlé

Wolfgang Amadeus Mozart
Mitridate, re di Ponte | Mithridate, roi du Pont

1 coffret 4 CD Signum Classics (2014)
SIGCD 400
Ian Page joue Mitridate, re di Ponto (1770), opéra de jeunesse de Mozart

Des opéras de jeunesse de Mozart, peu d’enregistrements sont disponibles, quand bien même leur approche permet de mieux comprendre le pas franchi par le compositeur avec Die Entführung aus dem Serail (1782) et plus encore Le nozze di Figaro (1786). À la suite de Gasparini trois ans plus tôt, le Salzbourgeois présente en 1770 sa version de la tragédie de Racine, déjà vieille d’un siècle, dans un livret du Piémontais Vittorio Amedeo Cigna-Santi (1728-1796). De cette œuvre à la facture encore intermédiaire entre le souvenir baroque et l’inspiration préclassique, écartons de suite les gravures de Christophe Rousset, jolie mais point mozartienne pour deux sous, de Marc Minkowski, trop brouillonne (DVD), de Roger Norrington à Salzbourg, confite dans un classicisme polaire, et de Nikolaus Harnoncourt, sèche comme le carême. Pour l’orchestre, nous préférons la version d’Ádám Fischer à la tête du DR Underholdningsorkestret (Orchestre de chambre national du Danemark), nettement supérieure, malgré une distribution vocale qui satisfait peu.

Avec une tonicité aérée, tour à tour véhicule de la dramaturgie ou qui, au contraire, jette un regard dépassionné sur le pataugeage affectif des protagonistes, la direction d’Ian Page, à la tête de son très performant Orchestra of Classical Opera, poursuit son investigation éclairée des ouvrages rares de Mozart. Dans la continuité de ses enregistrements d’Apollo und Hyacinthus et, surtout, du mystère sacré Die Schuldigkeit des ersten Gebotes, parus également chez Signum, ce Mitridate, re di Ponte conjugue des styles intermédiaires les avantages plutôt que les infirmités. Jouée sur instruments anciens, l’œuvre révèle une grâce délicate qui réconcilie avec les petits surdoués ! Autre mérite, des plus appréciables, de ce coffret : il présente, en un quatrième CD, les variantes de la première version ; on s’en réjouit.

Difficile de se retrouver dans les nombreux récitatifs de cet opéra au fil d’une écoute confiante, tant les régistrations brouillent les pistes ; si vous le souhaitez, il vous faudra suivre réplique par réplique livret en main, d’autant que les timbres choisis pour cette gravure sont très proches les uns des autres et que certaines chanteuses « bavouillent » l’idiome de Dante… À l’incisif Arbate d’Anna Devin, gouverneur en tout point satisfaisant, répond Sophie Bevan, Sifare englué dans une diction malaisée. Le rejeton du roi ne convaincra pas vraiment, à l’inverse de la promise de son père, Aspasia, remarquablement incarnée par l’excellente Miah Persson : la diva suédoise, dont on se rappelle la miraculeuse Poppea strasbourgeoise [lire notre chronique du 30 avril 2005], porte luxueusement la passion fiévreuse du personnage, pour notre plus grand bonheur. La clarté chaleureuse de la couleur vocale, la sûreté de l’intonation, le bel à-propos de la nuance et le goût exquis de la fioriture, toujours amenée avec une souplesse admirable, rivent l’auditeur à ses interventions. Sa compatriote Klara Ek campe une Ismene parfaite dans tous les récitatifs, mais acide dans les airs, malgré une inflexion généreuse qui dispose plutôt bien l’émission.

Les trois hommes de cette distribution pourraient laisser indifférent – entendons-nous bien : deux rôles masculins sont chantés par des femmes (Arbate, Sifare), et le troisième (Farnace), traditionnellement travesti, lui aussi, est ici confié à un contre-ténor alto, ce qui porte à trois spécimens la contribution des messieurs. Aussi me faut-il commencer par contredire un collègue (– pardon !) : en Marzio, Robert Murray prouve que pour convenir à l’écriture de Britten son ténor ne s’accommode pas de Mozart [lire notre chronique du 20 janvier 2011] ; gorge crue, le chant est affreusement ouvert. Souvent applaudi, ici et là, Lawrence Zazzo ne dément pas ses belles qualités dans les quelques airs du belliqueux Farnace – avec notamment quelques incursions de baryton d’un certain effet dramatique –, mais ses récitatifs sont rarement justes et accusent régulièrement un portamento disgracieux. Enfin, Barry Banks use d’un vibrato poussif et d’une nasalisation un peu pénible dans le rôle-titre qui souffre de graves difformes. L’ornementation des airs ne fonctionne pas, la vocalise monte l’escalier comme elle peut, à l’inverse de récitatifs fulgurants qui relancent magistralement l’intrigue. En juillet 2013 (date de la prise de son), soit deux ans (après son incarnation de Mitridate à Munich, il semble donc que le ténor britannique fatigue [lire notre chronique du 26 juillet 2011].

KO