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Chroniques
Wolfgang Amadeus Mozart
Zaide | Zaïde
Turquerie inachevée, conçue en allemand sur une trame influencée bien davantage par la comédie lyrique Das Serail, oder Die unvermuthete Zusammenkunft in der Sclaverey zwischen Vater, Tochter und Sohn que par la puissante tragédie quasi-homonyme Zaïre de Voltaire (montée à Paris en 1732), Zaide ressemble beaucoup, de par ses personnages et ses valeurs, à un brouillon de Die Entführung aus dem Serail (L’enlèvement au sérail), créé quelques années plus tard, et particulièrement apprécié sur les scènes françaises de nos jours [lire nos chroniques des 26 juin et 13 novembre 2016, ainsi que notre critique du CD].
Le vif intérêt de s’arrêter aujourd’hui à cette œuvre rare, courte et inaboutie survient dans le sillage de la compagnie anglaise Classical Opera et son chef fondateur Ian Page si bien lancés dans une vaste boucle d’enregistrements de tous les opéras mozartiens [lire nos critiques de Mitridate, re di Ponte et d’Il re pastore]. Avec Zaide cette intégrale en devenir, déjà une collection de qualité, s’enrichit d’un simple disque (soixante-quinze minutes, tout de même) né à Londres l’an dernier et assorti d’une notice passionnante quoiqu’à ne lire qu’en anglais ou en allemand. S’ajoute ainsi une nouvelle et plaisante touche à un possible portrait mozartien aussi bien documenté qu’amical.
À l’entame pourtant, la battue sèche et le choix d’un entracte de la tragédie lyrique contemporaine Thamos, König in Ägypten à valeur de piment dramatique privent le bref chœur des esclaves suivant du bel élan fraternel que Mozart sait si bien exprimer en d’autres Ouvertures (certes plus tardives et reconnues). Dommage, d’autant plus que les premiers accents lyriques semblent stridents…
Mais la suite n’est que réjouissance !
La curiosité s’épanche sur l’étrange procédé du mélodrame, juxtaposition du parlé et de la musique différente du Singspiel, la seconde commentant le premier, que Mozart défend d’abord et pour le mieux dans la belle invocation par l’esclave Gomatz du sommeil. Der seltsame Gast der Unglücklichen (possible « hôte des malheureux ») est effeuillée par la clarinette comme en filigrane, dans ce semblant de long prélude filé. S’ensuit un air, incontournable même et sans doute encore fort célébré en récital, mais, par l’un des quelques effets de coq-à-l’âne de Zaide dû à une reconstitution incomplète, ce n’est pas à l’amant Gomatz d’enchaîner ici… Ruhe sanft, mein holdes Leben appartient à Sophie Bevan, Zaide sobre et angélique, accompagnée par The Orchestra of Classical Opera, entre retenue et simple plénitude. Le ravissant soprano britannique illumine les deux autres airs féminins, l’un avec la force théâtrale et un certain art vocal de la fugue propres au personnage séquestré (Tiger! wetze nur die Klauen), l’autre à l’aide de jolies petites vocalises sur une musique plus conventionnelle et dans un registre limité mais c’est pour mieux exprimer la solitude (Trostlos schluchzet Philomele). Très admirable logique du jeune Mozart !
De même, après un vaillant prélude virevoltant d’élégance, la musique ainsi que la poésie souvent enfantine du livret disent chacune à sa manière, et en se complétant, l’union de la fermeté extrême et de la sage pondération dans Ich bin so bös’als gut, un régal signé Stuart Jackson. Sous le turban du sultan Soliman, le ténor réussit aussi, avec autant de maîtrise comique que de verbe, un Der stolze Löw lässt sich zwar zähmen (quelle image !) survitaminé, brûlant de désir et presque volcanique sur la fin.
Au meilleur du chant masculin, le baryton Jacques Imbrailo s’élance en toute fierté, modestie et gloire dans le rôle du bon garde Allazim (Nur mutig, mein Herze, versuche dein Glück), puis il soigne encore l’expression dans le sentencieux Ihr Mächtigen seht ungerührt. Le ténor Allan Clayton (Gomatz) brille surtout au duo avec Sophie Bevan tandis que le baryton-basse Darren Jeffery préfigure bien le brave Osmin irrésistible de L’enlèvement.
Enfin l’art de Mozart éclaire les deux ensembles placés à la fin de chaque acte, à commencer par le trio noble et aventurier O selige Wonne entonné par les fugitifs face au soleil levant (matière à un sublime prélude). D’amour et de foi, il est aussi question au quatuor final, Freundin, stille deine Tränen. Sommet dramatique de Zaide et condensé de composition lyrique presque fantastique, ce passage marque un tournant décisif vers… l’issue trouvée par Mozart, le troisième acte encore ignoré.
FC