Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Ensemble Diderot
Bach – Durant – Heinichen – Kress – Pisendel

1 CD Audax Records (2022)
ADX 11204
"Travel Concertos" par Johannes Pramsohler et l'Ensemble Diderot, chez AUDAX

L’excellent Johannes Pramsohler, que nous avons pu saluer par deux fois dans nos colonnes [lire nos chroniques de Croesus et du Berlin Album], le dit tout de go dans la notice du CD qu’il signe à la tête de son Ensemble Diderot : si le genre concerto de voyage n’a jamais existé, la pratique du temps baroque semble bien avoir été de concevoir des concerti « pour être joué on the road », suivant les invitations des diverses cours européennes aux musiciens à s’y produire. Ainsi trouvons-nous regroupés autour du cinquième des Brandebourgeois des pages de Durant, d’Heinichen et de Kress ainsi que deux opus de Pisendel dans un programme imaginaire qui pourrait être celui d’un de ces hauts lieux de musique.

De Johann Jakob Kress, né en Bavière en 1685 et mort à Darmstadt en 1728, nous entendons le Concerto pour violon en fa majeur n°3, rendu d’emblée étrangement familier par son inflexion toute vivaldienne. On y retrouve avec bonheur le bel équilibre de cette formation dont on ne louera jamais assez les qualités, dans un Vivace au caractère confiant, un Adagio serein dont le violoniste tyrolien dispense généreuse le cantabile béni, enfin un Menuet idéalement primesautier qui jamais ne fronce les sourcils. Du prolifique Johann David Heinichen, né en Saxe en 1683 et mort à Dresde en 1729, les artistes ont gravé le Concerto en ré majeur S.226 dans une couleur nettement différente où la lumière mélodique fait place à l’effervescence des cordes, rehaussée par la saveur harpistique du théorbe et les incises des bois (flûte et hautbois). On apprécie particulièrement la méditation dolente en mouvement central, subtilement respiré par les bois, avant un Allegro de réjouissance, parfaitement dans la tradition.

Lui aussi bavarois, le célèbre maître de chapelle Johann Georg Pisendel (Cadolzburg, 1688 – Dresde, 1755) a composé de nombreuses pages réputées pour la virtuosité qu’elles convoquent. Ainsi du Concerto da camera en fa majeur qui sacrifie au style italien à la manière de Bach, son grand contemporain. La souplesse raffinée de cette gravure est un avantage certain qui fait goûter au mieux les atouts de l’œuvre, dans son Allegro quelque peu redondant, par-delà l’accentuation sensible de ses chromatismes, et son Allegro assai glorieusement danseur. Le Larghetto médian fait alors figure de lamento lyrique dont Johannes Pramsohler endosse avec tendresse la vocalité. Avec le Concerto da camera en si bémol majeur, il confirme l’éminence de son jeu – de fait, cette galette fut écoutée par toute notre équipe de chroniqueurs dans l’éventualité de la distinguer d’une A! : à une voix près, les suffrages ont élu ex aequo deux autres CD [lire nos critiques des Sextuors avec hautbois de Brunetti et de l’album Solo Voice + de Françoise Kubler], il s’en fallut donc de peu. Difficile de résister à la cajolerie du Moderato, par exemple !

Ce menu qui puise ses ingrédients dans la production des contemporains de Bach est conclu par une œuvre beaucoup plus jeune, écrite par un musicien venu de Bratislava, alors appelé Presbourg, l’actuelle capitale slovaque ayant fait partie de l’empire austro-hongrois jusqu’en 1918. Paul Charles Durant y naquit en 1712, dans une famille musicienne. On retrouve quelques décennies plus tard ce luthiste de génie à la cour de Wilhelmine, la margravine de Bayreuth, qui joue elle-même de l’instrument et pour laquelle on pourra penser qu’il écrivit le Concerto en ut majeur qui réunit les cordes autour d’un clavecin et d’un luth. D’un style plus tardif, donc plus galant, il se déploie en quatre mouvements généreusement contrastés – Larghetto ; Allegro ma non troppo ; Adagio, un poco andante ; enfin Tempo di Menuet –, achevés en ritournelle. Dans sa prime version, le Concerto brandebourgeois en ré majeur n°5 BWV 1050 ouvre l’album avec son malicieux jeu d’échos. Un CD à écouter et réécouter sans risque de dérespecter quelque dose que ce soit, et sans doute à emmener dans ses valises, où que l’on aille !

BB