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Chroniques
Cayetano Brunetti
intégrale des sextuors avec hautbois
Qu’il est inattendu, ce compositeur espagnol ! Et qu’il rend heureux, avec la fraîcheur inégalée de ses sextuors pour hautbois, deux violons, deux altos et violoncelle ! Espagnol, vraiment ? On ne se serait pas trompé de péninsule ?... Certes, le nom sonne italien. Et l’homme naquit dans les Marches, à une quinzaine de kilomètres au sud de Pesaro, sur la côte adriatique, dans la petite cité où, en 1536, avait vu le jour un certain Ippolito Aldobrandini, élu pape en 1592 et qui devait siéger à Rome sous le nom de Clément VIII pendant treize ans. En 1744, alors même qu’Händel finissait d’écrire Belshazzar et Hercules, en cette année qui tua les compositeurs Leonardo Leo et André Campra (pour les plus connus), Gaetano Brunetti naît à Fano – attention, il ne faut pas le confondre avec Antonio Brunetti, né lui aussi en 1744, mais à Naples : celui-ci fut le violoniste qui succéda à Mozart à l’orchestre de la cour salzbourgeoise du prince-archevêque von Hieronymus Colloredo-Wallsee und Mels et dont il devint bientôt le Konzertmeister (épousant au passage la belle-sœur du cadet de Joseph Haydn, Michael).
Également violoniste, Gaetano est vite considéré comme un valeureux virtuose non dépourvu d’ambition, au point de gagner la cour espagnole avant ses vingt ans. C’est à Madrid que sa carrière s’engage, d’abord dans la fosse d’un théâtre, pour cinq ans, puis à la cour du roi Carlos III. Il y devient le professeur du prince héritier dont il sera chargé plus tard des festivités musicales attenantes au couronnement, en 1789. Parallèlement à ses hautes fonctions, Brunetti, désormais prénommé Cayetano, compose beaucoup. Sa musique fut principalement jouée à Madrid et en Espagne, mais ne rayonna jamais en dehors des frontières, mises à part quelques maigres incursions éphémères. Fait notable, si l’on dénombre à son catalogue beaucoup de page chambristes, plus de trente symphonies, quelques concertos, ouvertures et mouvements de danse, le répertoire sacré fait triste mine, ce qui allait à l’encontre des habitudes de son époque. Ce fut pareil pour l’opéra, le genre présentant fort peu de contributions de sa part et toutes perdues (on parle de deux opus seria et d’autant pour la zarzuela).
En août 2020, l’Auditorium Manuel de Falla de Grenade accueillait Il Maniatico, ensemble instrumental à géométrie variable fondé par l’hautboïste Robert Silla, pour enregistrer l’intégralité des sextuors avec hautbois de Cayetano Brunetti. L’abondante faconde de la facture de ce compositeur oublié est un bonheur à elle toute seule ! Pleins d’esprit comme peuvent l’être de nombreuses pages haydnienne, ces six sextuors témoignent d’une maîtrise et d’une inspiration admirables. Dès le premier mouvement du tout premier d’entre eux, on est charmé par la fraîcheur du jeu, l’audace accordée au rôle du hautbois, notamment, autant d’atouts au rendez-vous du final du Sestetto IV L276. Une écriture plus cantabile est régulièrement appréciable, comme dans les variations du dernier mouvement du second sextuor ou le deuxième du Sestetto III L275, voire l’Andantino final du Sestetto V L277. On retrouve ces qualités au fil des deux CD, articulées par des moments plus introspectifs, comme le doux Andantino du second sextuor, par exemple, très mozartien, quand Beethoven s’annonce clairement dans l’Allegro d’ouverture du quatrième. Une relative mélancolie habite l’atmosphère presque brumeuse des débuts du Sestetto V, avant de nouvelles pirouettes auxquelles on ne résiste pas. Les interprètes profitent voluptueusement de l’élégance qui leur est offerte, servant d’une grâce infinie certains moments, comme l’Allegro du sixième sextuor, n’hésitant pas à exalter le brio indubitable rencontré ailleurs – le final du Sestetto III, sans hésiter ! Et l’on ne se lasse pas pureté et la bonhommie du dernier opus.
Après mise à l’écoute de cinq galettes afin d’en récompenser une seule, la collecte des avis des chroniqueurs de notre équipe accuse un ex aequo : aussi deux parutions sont-elles aujourd’hui distinguées par notre A! [lire la recension de l’autre CD récompensé]. Face à la rareté de ces pièces, jusqu’à présent jamais gravées, à la précision et à la puissance expressive de Robert Silla (hautbois), Pablo Martín et Luís María Suárez (violons), Silvina Álvarez et Sandra García (altos), et de Carla Sanfélix (violoncelle), réjouissons-nous !!!
KO