Recherche
Chroniques
Ferruccio Busoni – Igor Stravinsky
Arlecchino, oder die Fenster | Arlequin – Pulcinella | Polichinelle
Ferruccio Busoni (1866-1924) fait partie de ces êtres dont la vie semble toute emplie de musique, passée devant une partition, un clavier, une classe ou un orchestre. Fils d'une pianiste et d'un clarinettiste professionnels, il donne avec eux un premier concert à l'âge de sept ans, quelques années avant de faire entendre ses compositions au public viennois. Il enseigne ensuite à travers le monde (Helsinki, Moscou, Weimar, Bâle, Berlin et aux Etats-Unis), formant des élèves tels Arrau, Petri, Varèse, Weill et Wolpe, auréolé de ses rencontres passées avec Brahms, Rubinstein, et Liszt – une de ses références majeures, avec Bach. Directeur de conservatoire à Bologne puis à Zurich, Busoni s'enracine dans le néoclassicisme tout en gardant un œil vers les possibilités à venir (électro-acoustique, microtonalité).
Livret entamé en 1913, Arlecchino, oder die Fenster (Arlequin, ou Les Fenêtres) est un opéra en un acte dont l'auteur achève la musique en 1916, et qui est présenté au Stadttheater de Zurich le 11 mai 1917, en même temps que sa Turandot – bien avant Puccini, lui aussi d'après Gozzi. Dans un Bergame du siècle précédent, ce theatralisches Capriccio met en scène Arlecchino successivement en gredin (Allegro molto), en soldat (Allegro assai, ma marziale), en époux (Tempo di minuetto sostenuto) et en conquérant (Allegretto sostenuto). Anarchiste et infidèle, le personnage multiplie les bons tours dans la tradition de la commedia dell'arte, tandis que le musicien s'amuse à parodier les conventions du genre (La Fille du régiment, Tosca, la Symphonie du destin, etc.).
À Bologne, en mars 2007, Lucio Dalla donne au Prologue des allures de happening, annonçant la morale réjouissante délivrée une heure plus tard : « La terre est jeune, l'amour est libre et vous êtes tous des Arlequins ! » (attention : sous-titrage italien et anglais uniquement). Peu avare de grimaces, le comédien Marco Alemanno compose un rôle-titre savoureux et inquiétant, qu'entourent d'excellents chanteurs, dont certains présents dans l'autre ouvrage au programme : le mezzo Sabina Willeit (Colombina ferme et sonore), la basse Maurizio Lo Piccolo (Ser Matteo del Sarto nuancé), le ténor Filippo Adami (Leandro), le baryton Massimiliano Gagliardo (Abbate Cospicuo non dénué d'aigus), et Ugo Guagliardo (Dottor).
Néoclassique lui aussi, le Pulcinella d'Igor Stravinski puise ses emprunts chez Giovanni Battista Pergolesi, mais doit aussi à Gallo, Monza, Parisotti, etc. Créée pour trois voix et un orchestre réduit à Paris, le 15 mai 1920, l'œuvre met en scène un personnage tout aussi marginal qu'Arlecchino. Confronté à un monde dont il ne connaît pas les codes (ici, l'Amérique agressive de la Bourse et des médias), le héros qu'incarne l'énergique Alessandro Rigo retrouve son royaume avec soulagement. Si l'orchestre placé sous la direction de David Agler n'est pas exempt de scories, il joue plaisamment avec la précarité baroque de la corde.
LB