Chroniques

par bertrand bolognesi

Ivan Buffa
œuvres variées

1 CD Kairos (2023)
0015125 KAI
à la découverte du compositeur Ivan Buffa (né en 1979) via ce CD Kairos

Avec ce nouveau CD, Kairos offre un parcours monographique dans le travail d’Ivan Buffa dont les exemples partagent un goût certain pour la concision. Élève de Jozef Podprocký (1944-2021), lui aussi natif de Košice – la seconde cité slovaque, sur le chemin de la Hongrie au sud et de l’Ukraine à l’est –, le jeune compositeur mêle cette influence à la subtilité des profusions rythmiques acquises dans la classe de son aîné suisse Michael Jarrell (né en 1958). Avec les musiciens de l’Ensemble Quasars (fondé en 2008), réunis en plusieurs effectifs qu’il dirige lui-même ou en formations chambristes autonomes, Buffa, tout récemment apprécié en tant que chef et en tant que pianiste dans l’album consacré par le même label à sa compatriote Viera Janárčeková [lire notre recension], il signe cette anthologie qui regroupe neuf opus dont la conception s’est étalée seize années durant – cette chronique en suit la chronologie, différente de l’ordre présenté par l’enregistrement.

Ainsi commence-t-elle par le Quatuor à cordes dont l’écriture a débuté en 2001 pour se conclure cinq ans plus tard. À l’exception du troisième, ses mouvements affirment une durée qui contredit la brièveté plus haut évoquée. Bien que jouée attaca, leur succession rend hommage à la tradition du genre, un hommage qui s’arrête cependant à la structure. Ouvert par des sons quasiment sifflés, le premier épisode développe avec vigueur son matériau, parsemant le parcours de haltes dans la couleur des premiers pas. Auteur de la notice, Roland Freisitzer y voit l’ombre d’une forme sonate dont la réexposition avortée mène à une coda où nous entendons les effleurements liminaires. Composant le silence via quelques accents fort drument ciselés sur un climat général piano, le deuxième absorbe habilement l’écoute dans un monde qui demeurera secret, par-delà la survenance d’une mélodie. D’abord fragmenté, ce geste final du violon fait naître le chapitre suivant, polarisé sur un fa# invasif, rompu par l’enchaînement du quatrième mouvement. Autre concession au modèle ancien, ce dernier convoque les atours des précédents mouvements, sans abuser jamais de la redite et moins encore de quelque littéralité. On apprécie la lecture de Robert Olisa-Nzekwu et Peter Mosorjak aux violons, Daniel Moser à l’alto et Arne Kircher au violoncelle.

D’un seul tenant, le Trio pour flûte, clarinette et violoncelle de 2003 débute par un moment lent et respiré, comme en poumon d’accordéon, bientôt contrasté par la confrontation de courtes péroraisons de chaque personnage – Eric Lamb (flûte), Jozef Eliáš (clarinette) et Ján Bogdan (violoncelle). Avec Quasars pour alto et sept musiciens (flûte, hautbois, clarinette, piano, deux violons et violoncelle), conçu en 2008 comme le groupe instrumental dont le nom affiche son titre (à moins que ce soit l’inverse…), nous abordons la musique pour ensemble de Buffa. Entamé dans le très grave du piano, vraisemblablement sur le cordier, dont l’impédance spécifique contamine la clarinette et d’autres comparses, cet opus contrasté avance avec Daniel Moser, le soliste, dans un texture de plus en plus fibreux que rehaussent des accords pianistiques préparés, à l’aura spectrale. Le violoniste japonais Yasutaka Hemmi livre Caprice II, un solo virtuose de près de sept minutes fort accidentées, écrit en 2011.

La même année, Ivan Buffa compose Rebirth pour ensemble (flûte, hautbois, clarinette, piano, quatuor à cordes et contrebasse) qui signale, en retravaillant à partir de deux pages de 2010, The Four Agreements pour voix et Tandem pour flûte et clarinette basse, une voie nouvelle dans son trajet de créateur. Alors qu’il s’était auparavant ingénié à concentrer son expression, voire à l’épurer, il souhaite cette fois une élaboration dynamique qui envahisse l’espace sonore. Après une première partie intense, le tutti s’éteint et laisse place à une cadenza pianistique qu’accompagne un saupoudrage des timbres. Une troisième section prend naissance environ deux minutes plus tard, qui renoue avec la copieuse énergie initiale. L’année suivante, Organismo sollicite un effectif comparable (flûte, hautbois, clarinette, piano, violon, alto et violoncelle). Dédié à la mémoire de Ján Palach qui, en 1969, s’immolait dans les flammes en protestation au joug soviétique exercé sur la Tchécoslovaquie (de même qu’à celle du chanteur contestataire Karel Kryl fut dédié Rebirth), la pièce explore la connexion des musiciens entre eux et le voyage de leurs actions et idées. Touffue, ce grand geste frémit pendant un tiers de sa durée, suspend son cours et redémarre dans un écho robuste encore. Une troisième partie, plus souple, s’affirme ensuite dans l’ondulatoire, faisant la part belle aux bois.

Avec ses deux flûtes solistes, Creative Spirit (2014) rassemble piano, quatuor à cordes et percussions. Le titre fait référence à Tvorivý duch, l’une des séries graphiques réalisées par le peintre slovaque Eugen Krón (1882-1974) lors de son séjour à Košice, de 1920 à 1928. Nettement polarisée sur sol#, l’œuvre évolue d’un tissu effervescent à un duo solistique privilégié – Eric Lamb et Andrea Mosorjaková –, conclu en discrète catabase sensiblement nuancée, avant une coda d’une extrême délicatesse. Spécialement écrit pour Tosiya Suzuki en 2016, Mime pour flûte à bec évoque un théâtre où s’exprimer sans mots afin de déjouer les dangers d’une censure musclée. Avec Identity pour ensemble (flûte, hautbois, clarinette, trompette, piano, quatuor à cordes, contrebasse et percussions), page de 2017 qui donne son titre à l’album, se termine la promenade.

BB