Chroniques

par laurent bergnach

Henri Duparc
mélodies

1 CD Brilliant Classics (2015)
95299
La basse Andrea Mastroni chante les mélodies d'Henri Duparc (1848-1933)

Parisien de naissance, Henri Duparc (1848-1933) étudie la composition avec César Franck, son professeur de piano au Collège des Jésuites, rue de Vaugirard. Après guerre, proche de d’Indy et de Castillon, il participe à la création de la Société nationale de musique (1871) et des Concerts de musique moderne (1878), lesquels ont pour mission de soutenir les productions françaises, tout particulièrement celles avec orchestre. Ironie du sort, c’est dans le domaine vocal que s’illustre l’auteur de nombre de fragments (Sonate pour piano et violoncelle) et pages perdues (Suite d’orchestre, Suite de danses, etc.), que la neurasthénie conduit à la retraite avant quarante ans.

Opéra abandonné suite à un envahissement contemplatif et religieux – à l’aube du XXe siècle, Duparc transcrit pour deux pianos l’orgue de Franck et Bach –, Roussalka ne ferait jamais d’ombre aux seize mélodies écrites entre vingt et trente-six ans : Chanson triste, Lamento (1868), Le galop, Romance de Mignon, Sérénade florentine, Soupir (1869), Au pays où se fait la guerre, L’invitation au voyage (1870), La vague et la cloche (1871), Élégie, Extase (1874), Le manoir de Rosamonde (1879), Sérénade (1880), Phidylé (1882), Testament (1883) et surtout La vie antérieure (1884), chef-d’œuvre qui occupe la pensée du maître toute une décennie. Elles convoquent Baudelaire, Bonnières, Coppée, Gautier, Lahor, Lisle, Marc, Moore, Prudhomme, Silvestre et Wilder.

Ces mélodies écrites sans l’aide du clavier – comme il l’apprend au pianiste Francis Planté (« j’ai dû faire un abrégé d’orchestre, puis une manière de réduction ») –, c’est en homme « inutile, impotent et détraqué », désespérant de les orchestrer, qu’il en parle à Jean Cras (1879-1932), le marin-musicien auquel le lie une correspondance depuis 1901 [lire notre critique de l’ouvrage]. L’invitation au voyage ? Une pauvre petite pièce que personne n’aimait, qui fut détruite deux fois puis réécrite des années plus tard. Phidylé ? Un succès mondain qui oblige son auteur stérile à des saluts idiots. Soupir ? Une page conçue alors que des parents refusaient à leur fils un mariage jugé trop rapide.

Diplômé de l’Institut supérieur d’études musicales Claudio Monteverdi de Crémone et lauréat de nombreux prix, la basse Andrea Mastroni a beaucoup chanté l’opéra italien [lire nos chroniques du 7 mai 2015 et du 6 août 2016, ainsi que notre critique du DVD Roberto Devereux]. Passons sur une diction perfectible du Milanais (Le galop) et sur quelques moments heurtés ou raides (Romance de Mignon, Chanson triste) pour savourer sa souplesse (Sérénade), sa douceur veloutée, un sens de la nuance (Phidylé, Lamento) qui le rend expressif sans aucune brutalité (Soupir).

Sorti d’une intégrale des mélodies franckistes avec le soprano Francesca Scaini (Brilliant Classics 94457), Mattia Ometto accompagne le chanteur sur un splendide Yamaha CFX de concert, au Studio I Musicanti de Rome. Lui aussi nuancé, le pianiste excelle à souligner un héritage allemand (Le manoir de Rosamonde, La vague et la cloche), un final « boîte à musique » (L’invitation au voyage) ou à dépassionner son jeu pour rendre le caractère ancien d’un air (Au pays où se fait la guerre).

LB