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Chroniques
Hector Berlioz
Les Grotesques de la musique
« L’art musical est sans contredit celui de tous les arts qui fait naître les passions les plus étranges, les ambitions les plus saugrenues, je dirai même les monomanies les plus caractérisées. […] Je me suis souvent demandé : est-ce parce que certaines gens sont fous qu’ils s’occupent de musique, ou bien est-ce la musique qui les a fait devenir fous ?... […] On juge de ce que peuvent être les aberrations, les hallucinations des gens prévenus, haineux, à idées fixes. Si l’on faisait entendre à ces gens-là l’accord parfait de ré majeur, en les avertissant que cet accord est dans l’œuvre d’un compositeur qu’ils détestent : « Assez, assez, s’écrieraient-ils, c’est atroce, vous nous déchirez l’oreille ! Ce sont de véritables fous. »
En s’appuyant sur l’édition de Bourdilliat et Cie – soit la seule parue du vivant de Berlioz –, le présent volume propose le texte intégral des Grotesques de la musique (1859), lequel faisait suite au Voyage musical en Allemagne et en Italie (1844) et aux Soirées de l’orchestre (1852). Comme le rappelle Gérard Condé pour l’introduire aujourd’hui, l’ouvrage se compose d’emprunts à des feuilletons et articles, soumis à corrections, que connaissaient déjà les lecteurs du Journal des débats ou de Revue et Gazette musicale de Paris. Adolescent sans contact avec le concert symphonique et l’opéra, leur auteur s’est lui-même nourri de musique par ses lectures et perpétue à son tour cette fatalité en devenant critique.
Ce faisant, il fustige moins les créations de ses confrères (signées Gyrowetz, Scribe ou Halévy) que certains travers du métier et autres comportements du public de ce « Paris barbare ». Choisis pour leur portée comique, ces fragments mêlent massacreurs de Gluck, musiciens incapables de transposer, prima donna aimant improviser, apprentis compositeurs, directeurs jeteurs de sort, faiseurs d’opéras-comiques, dilettanti fanatiques et autres inventeurs d’instruments (ah, les touches noires de l’ancien piano…). Il faut bien sûr, selon le souhait de Berlioz, « découvrir les pensées sérieuses sous la forme ironique ».
Ce recueil, qui fait rire bien souvent tout en réservant quelques moments d’intimité – les retrouvailles avec M. Dorant, le professeur de ses quinze ans, ou l’écriture imprévue d’une cantate – prolonge notre connaissance des idées et du caractère de Berlioz transmis par ses Mémoires – cette autobiographie destinée à une publication posthume, dont quelques chapitres furent confiés au Monde illustré dès 1858, et que les éditions Symétrie ont remise récemment en avant [lire notre critique de l’ouvrage]. Face à un ouvrage si essentiel, l’intérêt de celui-ci s’avère moindre, cependant, mais d’une compagnie agréable.
LB