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Chroniques
Giuseppe Verdi
I due Foscari | Les deux Foscari
Après la création de ses premiers ouvrages lyriques au Teatro alla Scala, le jeune Verdi (1813-1901) offre à Venise celle d’Ernani, le 9 mars 1844 [lire notre critique du DVD]. En promettant à La Fenice un nouveau spectacle – ce serait Attila (1846) –, il retourne vers Milan, entame des négociations avec Naples (Alzira, 1845), mais réserve à Rome la primeur d’I due Foscari. De la pièce éponyme signée George Byron (1821), adaptée par Francesco Maria Piave, le canevas est déjà prêt qui permet de répondre à un périlleux délai de livraison : quatre mois, répétitions comprises. Le Teatro Argentina fait découvrir les trois actes le 3 novembre 1844, accueillis avec un grand succès.
De plus en plus épris de contrastes et de variété, le chantre de Shakespeare renie au moins deux fois ce travail. Bientôt, il écrit à son librettiste : « avec les sujets qui sont tristes par nature, on finit, si l’on n’est pas très prudent, par composer un enterrement, comme par exemple dans Foscari,dont la teinte et la couleur sont trop uniformes de bout en bout » (22 juillet 1848). Plus tard, le dramaturge Antonio Somma reçoit cette confidence : « je trouve qu’aujourd’hui l’opéra s’égare dans une monotonie excessive, au point que je refuserai maintenant de mettre en musique des sujets tels Nabucco, Foscari, etc. » (22 avril 1853 – année de création d’Il corsaro) [lire notre critique du DVD].
Noire est en effet la teinte d’I due Foscari. La vengeance de Jacopo Loredano s’exerce avec succès sur une famille rivale innocente, puisque cette crapule pousse à la démission et à la mort le doge Francesco Foscari, après s’être acharné sur le dernier de ses quatre fils. Accusé de trahison possible avec le duc de Milan, puis du meurtre d’un ancien membre du Conseil des Dix dont il finira blanchi, Jacopo Foscari est mis à l’isolement, torturé, puis contraint à un nouvel exil. Il périt en mer, au désespoir de son épouse Lucrezia à laquelle il fut interdit de l’accompagner.
Thaddeus Strassberger met en scène le drame dans un huis clos de murs lézardés, de cages et de cachots qu’investissent eau, feu et fumée – décors de Kevin Knight. Les costumes de Mattie Ulrich illustrent un fantasme de Renaissance, avec des groupes soudés par castes (rouge pour le pouvoir politique, noir et blanc pour le clergé) dont s’échappent quelques individus (or, bleu, parme, émeraude). Empreint d’une liberté moyenâgeuse, le seul moment de fantaisie vient des saltimbanques de la piazzetta San Marco, où les méchants en prennent pour leur grade (Acte III, scène 1). Dommage que l’infanticide final, injustifié et ridicule, tache un tableau si bien brossé.
Visage de doge mais cœur de père, Plácido Domingo incarne parfaitement un homme que brise l’ambition d’autrui ; et mieux que jadis dans Tamerlano [lire notre critique du DVD] car ici le corps ploie de fatigue sans entraîner la voix. Avec l’ancien ténor, la tendre scène père-fils (Nel tuo paterno amplesso) prend des allures de transmission théâtrale, aussi émouvante que celle de la destitution impensable du vieillard pourtant nommé à vie.
Francesco Meli (Jacopo) possède une voix longue et souple qui charme par son évidence, surtout dans les passages les plus délicats (All’infelice veglio). Maria Agresta (Lucrezia) séduit par un soprano tonique exigé par son personnage bafoué (supplique, furie, désespoir, etc.), et la basse Maurizio Muraro (Loredano) par un chant très égal et rond, à l’impact contrôlé. Samuel Sakker (Barbarigo), Rachel Kelly (Pisana), Lee Hickenbottom (Fante) et Dominic Barrand (serviteur) complètent efficacement la distribution, avec le chœur maison. En fosse de Covent Garden en octobre 2014, Antonio Pappano mène les musiciens sans lambiner, entre urgence et délicatesse.
LB