Chroniques

par laurent bergnach

Giuseppe Verdi
Macbet | Macbeth

2 DVD Bel Air Classiques (2011)
BAC 054
Giuseppe Verdi | Macbeth

Prudence commerciale oblige, Bel Air Classiques ne met pas en avant aujourd’hui une des raretés qui animèrent l’Opéra national de Paris à partir de 2004, durant l’ère Mortier – que certains spécialistes prénommèrent Gérard des années durant, jusque dans des publications dites spécialisées –, mais un bon vieux Macbeth de la dernière saison, coproduit avec l’Opéra de Novossibirsk et filmé à Bastille en avril 2009. Créé à Florence le 14 mars 1847, le melodramma donné ici dans sa version de 1865, était l’un des préférés de son créateur ; en ce qui nous concerne, sans oser espérer Adriana Mater (Saariaho) et Da gelo a gelo (Sciarrino), nous aurions bien aimé revoir Wozzeck ou Ariane et Barbe Bleue (avec, respectivement, Angela Denoke et Deborah Polaski). Ces réserves émises, la démarche de Dmitri Tcherniakov n’est pas pour nous déplaire :

« Je me suis volontairement efforcé de ne penser que très peu à Shakespeare, pour n’avoir devant moi qu’une seule et unique œuvre : l’opéra. Et ce Macbeth de Verdi qui auparavant m’apparaissait comme une chose simplette, linéaire et « à grosse mouture » a fini par me poser les même questions difficiles que celles posées par Shakespeare. Pourquoi les sorcières, et qui sont-elles en réalité ? Pourquoi jettent-elles leur dévolu justement sur Macbeth et qu’attendent-elles de lui ? Contre qui Macbeth se bat-il durant toute cette histoire ? Quel rôle dans son destin joue, en fin de compte, sa femme, Lady Macbeth ? Et, enfin, qu’est-ce qui lui prend de tuer Duncan ? Et cela n’est qu’une partie des questions très complexes auxquelles j’ai tenté de répondre en imaginant ce spectacle. »

Qu’on se rassure, les réponses apportées visent à la simplicité, notamment en délimitant deux espaces bien précis, un public et un privé, reliés par une vue aérienne numérique (style Google Earth) qui rappelle au passage que posséder la couronne, c’est posséder la terre. Mais que faire du pouvoir ? Pour Macbeth, noceur immature dont c’est la femme qui porte… le pyjama, il n’est qu’un moyen d’affermir le sien plus encore, à grands flots de sang et de flammes. Un mystère demeure cependant : que penser de cette agora occupée par le chœur pour remplacer la caverne au Sorcières ? La Vox populi serait-elle la voix du Diable ? Les mains du Destin ? En tout cas, souhaitant « découvrir où le mal se cachait », Tcherniakov dit l’avoir trouvé dans le commun des mortels possédé par une idée tenace.

Si Dimitris Tiliakos porte le rôle-titre avec une vaillance nuancée, c’est Violeta Urmana qui s’impose d’emblée, déroulant souplement une pâte vocale généreuse et chaleureuse, bien impactée ; son personnage gagne en complexité, des tours de prestidigitation visant à détourner l’attention d’un mari instable jusqu’à une scène de somnambulisme dépourvue de ridicule. Habitué aux ambiances infernales – il incarnait récemment Mefistofele [lire notre critique du DVD] –, Ferrucio Furlanetto offre un Banquo sonore mais sans beaucoup de corps. Pour son Macduff plein de santé, clair et vif, Stefano Secco n’a pas volé ses applaudissements à l’issue d’O figli ! O figli miei ! Enfin, alors qu’Alfredo Nigro est un Malcolm oubliable, félicitons Letitia Singleton et Youri Kissin pour leur délicat duo de l’Acte IV.

« Pour pouvoir bien jouer Verdi, affirme Teodor Currentzis dans un reportage d’une demi-heure qui dévoile images de répétition et entretiens divers, les musiciens doivent se donner complètement. […] Chaque geste que l’on fait est là pour donner à la musique son sens caché, son caractère et sa profondeur. » Attaché à la troisième scène nationale russe de 2004 à 2010, le chef grec, en partie formé par Ilya Musin, conduit l’orchestre avec netteté et retenue, se montrant plus incisif à mesure que le dénouement approche. Les choristes maison, auxquels se joint la Maîtrise des Hauts-de-Seine, sont convaincants et mis en valeur par la caméra d’Andy Sommer. À cela s’ajoute une belle prise de son – qui fait entendre, entre les actes, ces fameux tousseurs parisiens qui horripilent tant les spécialistes évoqués plus haut.

LB