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Chroniques
Giacomo Puccini
Edgar
Pièce de concours créée à Milan au printemps 1884,Le Villi obtient un succès bref mais fulgurant qui attire l'attention du public et des professionnels sur le jeune Giacomo Puccini, pas encore trentenaire – « […] à notre avis, le compositeur que l'Italie attendait… » s'enflamme le Corrierre della Sera. Giulio Ricordi achète les droits de la partition et lui commande un nouvel opéra. Il s'agit d'Edgar d'après La Coupe et les lèvres, un drame en vers écrit en 1832 par Alfred de Musset. Déjà librettiste pour la légende dramatique se déroulant en Forêt-Noire, Ferdinando Fontana concentre en quatre actes une intrigue ayant pour cadre le Tyrol et procède à des aménagements, puis à des améliorations – le compositeur ayant manifesté sa déception. L'écriture durant plus du double du temps prévu, la partition, achevée fin 1887, est offerte aux mélomanes de La Scala le 21 avril 1889. Par souci d'efficacité, Puccini réduit ensuite à trois actes une œuvre jugée ratée par beaucoup. En 2008, le Teatro Regio de Turin créé l'événement en revenant à la forme originale.
Edgar est tiraillé entre l'amour sincère de Fidelia et la passion sensuelle qu'il ressent pour la belle étrangère Tigrana. Jadis abandonnée par « des Hongrois et des Maures », cette dernière est défendue par Edgar alors qu'une foule sortant de la messe la menace dangereusement. Il brûle la maison paternelle et s'enfuit avec elle. Vite lassé de sa nouvelle vie de décadence, il rejoint une troupe de soldats – et parmi eux Franck, frère de Fidelia et ancien rival amoureux. À l'issue de fausses funérailles, Edgar met à jour la cupidité de Tigrana et retrouve l'amoureuse véritable, celle qui a défendu sa mémoire avant de sombrer dans une folie passagère. Alors que tout leur sourit, le poignard de la femme fatale terrasse la femme fragile.
À un opéra évoquant immanquablement Carmen, mais aussi Cavalliera rusticana (duel sous les yeux d'un « stupide troupeau ») ou Turandot (plusieurs incarnations féminines de l'amour), Lorenzo Mariani offre une mise en scène efficace, dans un décor unique fait de piliers de pont obliques perçant une pente herbeuse. Si Fontana avait transposé l'histoire dans un village de Flandres, en 1302, tout nous ramène ici au Risorgimento.
Avec Tigrana, Puccini confie à un mezzo un rôle d'envergure. Julia Gertseva l'incarne avec de belles qualités : fermeté du chant, harmoniques très riches dans l'aigu, graves musclés et fiabilité du phrasé. En revanche, en habituée de l'univers puccinien – elle fut au cœur d'un récent Trittico [lire notre critique du DVD] –, Amarilli Nizza (Fidelia) déçoit par sa raideur : certes puissant, son chant manque très souvent de nuance, d'expressivité et d'aisance. L'Argentin José Cura offre au rôle-titre une voix idéale, avec beaucoup d'espace. Le timbre cuivré de Marco Vratogna (Franck) est mis en valeur par un chant élégant et bien mené. Carlo Cigni (Gualtiero) complète honnêtement le quintette de solistes, lequel est accompagné par un orchestre et un chœur turinois que dirige Yoram David.
LB