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Chroniques
Georges Aperghis
pièces pour voix
Arrivé à Paris au terme de l’adolescence, Georges Aperghis (né en 1945) conçoit ses premières œuvres en autodidacte, au début des années soixante-dix, dans le cadre du Festival d’Avignon. Marqué par certaines écoutes (Kagel, Cage) et lectures (Chomsky, Jakobson, Saussure), le compositeur invente une structure propre à réunir son amour des mots et des notes, l’Atelier Théâtre et Musique (ATEM). Ennemi du cliché et de la continuité, Aperghis aime avant tout surprendre – lui-même en premier lieu –, comme le prouvent les deux pièces au programme, dont les versions initiales furent créées par la comédienne Martine Viard, à Avignon (Récitations, 1982) et Strasbourg (Six tourbillons, 1990). Devenue la nouvelle muse de l’auteur depuis Sextuor (1993), Donatienne Michel-Dansac reprend régulièrement ces classiques.
« Est-ce qu’on veut raconter une chose précise, quitte à la détourner plus tard et à la contredire et créer une fausse piste ? Ou est-ce qu’on veut en enlever complétement le sens et que ce soit uniquement musical ? ». Aperghis fait face à ce double choix au moment d’élaborer Tourbillons, partant de mots commandés à Olivier Cadiot et de phonèmes qui, juxtaposés, « font quelque chose qui rappelle quelque chose ». D’une quarantaine de minutes, sa version finale (Vandœuvre-lès-Nancy, 2004) fut redonnée au Théâtre du Rond-Point (Paris), en mai 2010, permettant ce premier enregistrement mondial. Le travail vidéastique est absent mais l’essentiel est là, avec sa complexité digne de Bach, comme le précise la soliste qui aborde voix parlée et chantée comme du contrepoint [lire notre chronique du 5 juin 2005]. Dans ce monologue psychosomatique, tragicomique appel au secours, on admire une nouvelle fois la virtuosité d’une voix aussi unique qu’agile.
« Quand j’ai composé les Quatorze Récitations en 1978, rappelle Aperghis en 2006, évoquant au passage la Klangfarbenmelodie chez Webern, j’ai essayé autant que possible des histoires et des articulations de sons différentes, avec le souci de rester simple pour permettre aux auditeurs d’entrer dans le microcosme des histoires imaginaires, mais en gardant toujours le processus de permutation de syllabe compréhensible et perceptible. […] Chacune des quatorze pièces dévoile un problème musical relativement simple, mais qui devient vite très difficile à chanter et à jouer. C’est cette difficulté d’exécution de la pièce et les tensions qui émanent de la complexité technique, qui emmènent vers des situations musicales et théâtrales intéressantes » (in notice col legno) [lire notre critique du CD].
Voilà plus de vingt ans que Donatienne Michel-Dansac fréquente les Récitations, ou tout du moins dix d’entre elles. Les plus difficiles (numéros 4, 6, 7 et 12) furent abordées en novembre 2001, à l’occasion d’un concert à la Konzerthaus de Vienne. Elle confiait alors combien le travail d’assimilation avait été intérieur, nécessitant de trouver d’abord son propre chemin pour sillonner un univers sans repères. « On ne peut pas chanter cette musique immédiatement, redit-elle aujourd’hui. Le déchiffrage est impossible, inutile, néfaste pour la voix mais aussi pour le concert, pour les interprétations futures que l’on fera de ces œuvres ».
Profitant des règles de jeux multiples de la partition, celle qui reconnait avoir appris l’interprétation avec Récitations en propose une nouvelle version, gravée à Darmstadt en août 2012. On y révèle un travail plus instrumental que théâtral, qui situe le soprano aux côtés de Berberian plutôt que de Viard. Du coup, les mécaniques engendrées sont parfaites, fascinant l’oreille et l’esprit lorsqu’elles sont purs enchainements de sons, d’onomatopées. Le comique naît de la rapidité d’exécution comme des pauses silencieuses qui jouent avec leitmotiv et surprise. L’inquiétude à sa place, elle aussi.
LB