Chroniques

par laurent bergnach

Franco Faccio
Amleto | Hamlet

2 DVD C Major (2017)
740608
Paolo Carignani joue Amleto (1871), un opéra oublié de Franco Faccio

Des compositeurs italiens nés dans la première moitié du XIXe siècle – Bellini (1801), Verdi (1813), Busoni (1824), Ponchielli (1834), etc. –, Franco Faccio (1840-1891) reste l’un des moins connus. Originaire de Vérone, celui qui sera surtout chef d’orchestre et pédagogue apprend son métier à Milan, dans le conservatoire dont il deviendrait bientôt le jeune directeur (1867). Dans la ville de Caravaggio, il prend ensuite la tête du Teatro alla Scala (1871-1890). On s’étonnera moins de cette omniprésence dans les institutions si l’on sait que ses deux premiers opéras ont fait fuir public et critique : I profughi fiamminghi et Amleto, respectivement créés à la Scala les 11 novembre 1863 et 12 février 1871.

Membres de la Scapigliatura dénonçant le conservatisme artistique, les rebelles Faccio et Boito, son second librettiste, apportent du renouveau à l’univers de la tragédie lyrique en choisissant d’adapter The Tragedy of Hamlet, Prince of Denmark (1603). Proche de l’original de Shakespeare, leur nuovo melodramma est acclamé lors de sa création génoise, le 30 mai 1865, au Teatro Carlo-Felice. Mais six ans plus tard, comme on l’a dit, sa présentation remaniée a moins de succès – parmi les attentes déçues des Milanais, mentionnons la prestation de Mario Tiberini qui, souffrant, ne servit pas au mieux le rôle-titre.

Bien filmée par Felix Breisach au Bregenzer Festival (Autriche), cette production d’Amleto, que nous avions alors saluée [lire notre chronique du 28 juillet 2016], rend justice à un ouvrage oublié au point d’avoir dû être restauré par le chef et compositeur Anthony Barrese, pour renaître à Albuquerque (2014). Sur un plateau quasiment nu qu’occupent parfois quelques tables de maquillage ou un lit (Frank Philipp Schlößmann), Olivier Tambosi met en scène les protagonistes dans des costumes rayés ornés d’un œil (Gesine Völlm), desquels se détache la solitude du prince mélancolique vêtu de noir.

Dans cette cour digne de Lewis Carroll, seul contre tous, l’héritier du Danemark ne cesse d’osciller entre réflexion et action, gagnant sans cesse en profondeur. Sans effort, d’une voix ferme et impactée, le Tchèque Pavel Černoch l’incarne à merveille, face à une famille de chair ou de brume : Djamila Kaiser (Gertrude) au soprano lyrique ample, Claudio Sgura (Claudio) d’une belle stabilité sonore, ainsi que Gianluca Buratto (Fantôme d’Hamlet père) dont on saluera l’égalité sur la tessiture et un legato magnifique.

Quant à eux, les vaillants Eduard Tsanga (Polonio) et Paul Schweinester (Laerte) jouent la famille bientôt décimée d’Iulia Maria Dan (Ofelia), artiste roumaine au chant bien mené, expressif et nuancé, qu’on adore. Dans des rôles secondaires, Bartosz Urbanowicz (Marcello) et Yasushi Hirano (Luciano) ont aussi notre affection. Enfin, citons les excellents Wiener Sinfoniker qui, avec le Chœur Philharmonique de Prague, jouissent de la conduite souple et efficace de Paolo Carignani, lequel rappelle combien Faccio annonce le vérisme.

LB