Dossier

entretien réalisé par monique parmentier
versailles – 25 mai 2011

Benoît Dratwicki, directeur artistique du CMBV
quelques éclaircissements sur la saison 2011/2012

Pierre Grosbois photographie l'Hôtel des Menus Plaisirs, à Versailles
© pierre grosbois

À la veille de ses premiers concerts d’automne (dirigés par Olivier Schneebeli, Les Pages et les Chantres, avec l’Akademie für Alte Musik Berlin, joueront De Lalande, Desmarest et Minoret, samedi 24 septembre, à la Chapelle Royale) et tandis que Bartabas et ses improvisations équestres inaugurent la saison 2011/2012 (Le cheval baroque, les dimanche 18/09, 25/09 et 02/10, au Manège de la Grande Écurie), le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) engage différemment sa mission de rayonnement de la musique française (baroque) à travers le monde. Benoît Dratwicki, son directeur artistique, présente les importants changements vécus aujourd’hui par la structure

Le Centre de Musique Baroque a opéré un changement important concernant le fonctionnement de sa programmation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Un peu d’histoire est nécessaire pour mieux comprendre notre nouvelle situation. Quant le Centre a été créé, en 1987, il s’est adossé logiquement au château de Versailles. La musique française était alors quasi inconnue. Il fallait installer quelque chose d’immédiatement visible et emblématique. Le château était encore un musée qui n’avait ni la mission ni la capacité de produire des spectacles. Il a donc paru logique, à l’époque, que le CMBV soit la cellule qui propose une offre de concerts et de spectacles, gère la billetterie, la production, la régie ou embauche des intermittents. De son côté, le CMBV avait tout intérêt à s’appuyer sur cette accroche très visible en utilisant les salles du château pour leur côté prestigieux, symbolique et historique. Par ailleurs, rares étaient alors les programmateurs prêts à faire jouer de la musique française et surtout des œuvres et des compositeurs très rares. Peu d’endroits programmaient spontanément du Lully ou du Rameau, alors du Desmarest ou du Mondonville !... Il fallait donc imaginer une sorte de plate-forme totalement dévolue à la musique française. D’où l’idée de créer un festival au château de Versailles.

En vingt-cinq ans, une génération plus tard, les choses ont beaucoup évolué, à tous les niveaux. Le CMBV existe aujourd’hui par lui-même, son travail est, je crois, plutôt reconnu et nous n’avons plus autant besoin de l’image du château pour faire savoir que nous existons. De son côté, le château de Versailles est devenu établissement public en 1995 et s’est tout de suite doté d’une filiale destinée à gérer les grands spectacles dans le parc : c’est désormais cette filiale, Château de Versailles Spectacles (CVS), qui gère cet aspect fort complexe, mais qui a aussi étendu ses compétences à d’autres activités, notamment à une saison de concerts, largement développée depuis l’arrivée de Jean-Jacques Aillagon en 2006. Depuis trois ans, le public a assisté à l’émergence de cette nouvelle saison qui venait enrichir l’offre du CMBV limitée au répertoire spécifique de la musique baroque française. La coexistence de deux opérateurs devenait complexe tant pour le public que pour les artistes, avec deux billetteries, deux communications, des affichages un peu étonnant et même des cas de conscience artistiques, tant pour les interprètes que pour les deux programmateurs que nous étions.

Une décision a été prise...

Jean-Jacques Aillagon a sainement estimé qu’une seule structure de programmation au château centralise les projets des uns et des autres, avec une seule communication, une seule billetterie, un seul planning d’occupation des salles. Logiquement, c’est à la filiale du château de remplir cette mission. Cela nous a mis dans la situation de réfléchir positivement au devenir de la saison de concerts telle qu’elle existait antérieurement. En vingt-cinq ans, la musique baroque française s’est énormément développée grâce aux actions du Centre, à celles des interprètes et à l’enthousiasme de certains directeurs de festivals et de salles viscéralement passionnés par ce répertoire. Aujourd’hui, on donne la musique baroque française partout dans le monde. Cette évolution a généré beaucoup de demandes de structures extérieures auxquelles nous avions parfois du mal à répondre en raison de la logique du festival d’automne à Versailles. Dès son arrivée à la direction générale du CMBV en 2005, Hervé Burckel de Tell a vraiment considéré qu’il fallait que nous soyons beaucoup plus présents au niveau national et international. Je prendrai trois exemples dans ces dernières années : Andromaque de Grétry a été programmé par nous au Théâtre des Champs-Élysées, repris au Palais des Beaux-arts de Bruxelles en version concert, puis donné en version scénique à Nuremberg, Montpellier et Swetzingen [lire notre chronique du 13 juillet 2010]. Avec un livre-disque à la clé, c’est un projet absolument exemplaire pour le Centre – projet qui n’est pas du tout passé par Versailles. Autre exemple : Cadmus et Hermione de Lully [lire nos chroniques des 21 janvier 2008 et 17 décembre 2010]. À l’époque de sa recréation, l’Opéra royal était fermé pour travaux. Nous avons donc été coproducteur et coréalisateur à l’Opéra Comique, puis le projet a beaucoup tourné, fut repris à Paris, etc., sans passer par Versailles. Enfin, il y eut Amadis de Lully, monté en partenariat avec les opéras de Massy et d’Avignon [lire notre chronique du 24 janvier 2010] Dans tous ces cas, on s’est rendu compte qu’il y avait ailleurs un public extrêmement demandeur, au delà de nos fidèles versaillais : les gens ont peu l’occasion de voir des répertoires originaux. À Avignon pour Amadis autant qu’à Nuremberg pour Andromaque (à l’occasion du Festival Gluck) nous avons constaté que le CMBV était très attendu. Le public allemand était ravi et le directeur du festival est, depuis, vraiment très motivé pour poursuivre le partenariat (nous monterons ensemble La Toison d’or de Vogel en 2012, preuve que rien ne lui fait peur).

Notre action se voulait nationale et internationale depuis notre création, tant au niveau de la recherche que des éditions et des projets artistiques : le moment est venu de prendre à bras le corps ce rayonnement, maintenant que les assises sont solidement ancrées. Ainsi, la réflexion menée avec Jean-Jacques Aillagon n’en a que rendu que plus évident le fait que, si le CMBV voulait pleinement jouer sa mission en ce début de XXIe siècle, il fallait repenser autrement ses activités pour être plus utile, plus efficace, plus visible ! Nous en avons longuement parlé avec le château, le ministère et toutes les tutelles, et sommes tous tombés d’accord. Il est plutôt exceptionnel qu’à l’heure où le ministère doit faire des choix et se voit souvent obligé de revoir les budgets à la baisse, il nous soutienne pleinement dans notre repositionnement. Pour lui, nous devons jouer à fond la carte du rôle national. Le château continuera à nous offrir un concours financier important dans la mesure où sa direction estime que notre action de diffusion participe au rayonnement de son image et de son patrimoine. Le CMBV n’est donc plus une structure d’organisation de concerts mais de production d’objets artistiques (ce que montre la nouvelle brochure). Nous monterons désormais des programmes originaux et toujours plus audacieux qui ensuite, via d’autres, deviendront autant de concerts.

Quels seront désormais les objectifs de la programmation versaillaise ?

Benoît Dratwicki, directeur artistique du CMBV
© dr

Au château, nous présenterons chaque saison nos projets les plus innovants et les plus ambitieux, ce qui veut dire que notre saison, qui était en moyenne de vingt-cinq concerts, se recentrera autour d’une dizaine de manifestations. Nous proposerons des opéras en version concert, des grands motets ou des concerts d’orchestre, toujours des choses ambitieuses et rares complétant l’offre de CVS.

Cette restructuration a-t-elle des répercutions sociales ?

Malheureusement, oui. Certaines compétences devenant inutiles dans la nouvelle organisation, elle a imposé une restructuration des équipes. En revanche, en termes de budget d’activités artistiques, cela ne change strictement rien et n’est pas du tout synonyme de compression de budget. Nous ne sommes pas en sortie d’état de crise : au contraire, le CMBV se porte bien. J’ai entendu courir sur la place parisienne que nous avions des problèmes financiers : cela ne correspond pas du tout à la réalité. Au contraire, la multiplication des partenariats permet de voir assez sereinement l’avenir.

En revanche, cela libère du temps et de l’argent pour d’autres activités…

Tout à fait, et va nous obliger à écumer la France, l’Europe et même au delà pour trouver des partenariats. On a déjà de bons contacts. Je suis allé écouter Hippolyte et Aricie (Rameau) en version de concert à Budapest, par exemple. La distribution était presque totalement hongroise. J’étais vraiment plus qu’heureusement surpris par ce que j’ai vu et entendu. Cette production m’a semblé vraiment digne de des grandes salles françaises. Le directeur de la salle et le chef d’orchestre m’ont appris qu’ils voulaient monter tous les ans un grand opéra baroque français, d’abord en version concert une année pour le reprendre ensuite en version scénique l’année suivante. Ainsi, après Hippolyte et Aricie viendra, je crois, un Scylla et Glaucus de Jean-Marie Leclair. J’ai vraiment été ravi de découvrir une telle qualité de travail sur la musique française et un tel engagement. Même chose à Grenade où le festival a très envie de programmer Zaïde, Reine de Grenade de Pancrace Royer en partenariat avec nous. Le CMBV fait des émules...

Un petit mot sur la brochure ?

Comme l’année dernière, nous y présentons toutes nos activités, pas seulement les concerts et les spectacles. Je ne vous parlerai que de la partie spectacles mais sachez que les deux autres pôles – la recherche/édition et la formation/maîtrise – ne sont pas du tout impactés par la restructuration générale ; l’un et l’autre sont en pleine effervescence. La maîtrise va s’intégrer au pôle d’enseignement supérieur Paris/Boulogne-Billancourt, validant ainsi une vraie reconnaissance pour la qualité de son travail ; quant à la recherche, le mandat de Catherine Cessac (notre directrice de recherche) arrivant à son terme, nous discutons avec le ministère et le CNRS pour redynamiser l’ensemble du pôle et le mettre plus en phase avec la structure CMBV dans son ensemble.

Parlons des concerts et spectacles qui seront donnés à Versailles cette année…

La saison 2011/2012 s’articule autour de deux thèmes : d’abord une sorte de prologue, puis les traditionnelles Grandes journées, couronnées par une production scénique. À ceci s’ajoute une activité un peu corollaire mais très originale, le Cheval baroque, qui est la poursuite d’une expérience tentée l’année dernière avec Bartabas et l’Académie du spectacle équestre : des concerts mêlés à des improvisations équestres. Le prologue de la saison sera forcément dédié à la gloire de Louis XIV et consacré aux institutions de la fin de son règne. On abordera tour à tour la musique sacrée, la musique profane et la danse sous le règne du Roi-Soleil. Puis viendra un cycle qui me tient particulièrement à cœur : les Grandes Journées Antoine Dauvergne. Une très belle redécouverte, j’en réponds !

Quelques mots sur les saisons à venir ?

2012 développera trois thèmes principaux : la danse de Louis XIII à Louis XVI, la musique sacrée à la fin du XVIIe siècle (de préférence un répertoire moins connu, celui des histoires sacrées, des messes et des petits motets) et l’opéra français du temps de Louis XVI, avec Renaud de Sacchini, Thésée de Gossec et La Toison d’Or de Vogel, ce dernier ouvrage réalisé en partenariat avec le Festival Gluck de Nuremberg.Pour 2013, nous montons un gros projet, Versailles et l’Europe. Nous souhaitons mettre en valeur les résonnances entre musique française et musiques européennes. Pour 2014, nous préparons déjà activement l’année Rameau (deux-cent cinquantième anniversaire de sa mort). Enfin, rien n’est fait pour 2015, mais l’anniversaire de la mort de Louis XIV et du début de la Régence pourrait orienter notre choix autour de cette période si féconde et encore bien mal connue.

Cette année, les Grandes Journées sont consacrées à Antoine Dauvergne (1713-1797), Demeuré longtemps oublié de la postérité, quel intérêt présente ce compositeur ?

le compositeur Antoigne Dauvergne
© dr

Voilà longtemps que le Centre voulait lui consacrer des Journées. Ses Concerts de Symphonies furent la première partition éditée par nos soins. Nous y avions pensé en 2003, puis en 2005, lui préférant Louis XIII puis Leclair. Cette année, nous sommes enfin parvenus à le programmer. Depuis toujours une sorte de malchance poursuit Dauvergne : de son vivant, il vit par deux fois l’opéra brûler quand il était à sa tête et, aujourd’hui, avec la réorganisation du CMBV, moins de concerts lui seront consacrés que ce fut le cas pour ses prédécesseurs aux Grande Journées ; trois ou quatre de plus pourraient le faire mieux connaître. Toute proportion gardée, c’est comme si l’on ne connaissait pas Rameau et qu’il faille l’amener au public en dix concerts. Dauvergne a composé huit grands opéras et un certain nombre d’autres musiques. Il fallut donc faire un choix. De ses tragédies lyriques, nous avons retenu Hercule mourant, mais ce choix fut difficile, car Canente, Énée et Lavinie, Polixène sont tout aussi intéressants. Antoine Dauvergne me semble correspondre parfaitement aux missions du CMBV. Globalement, personne ne le connaît et ceux qui le connaissent n’ont entendu que Les Troqueurs. Il serait faux de résumer sa musique à celle des Troqueurs. Mais si l’on connaît le reste de sa musique, on se dit « ah, et il a pu faire cela ». Il avait une profonde maîtrise et le sens de l’à-propos. Son corpus est assez vaste et, surtout, il fait partie de l’entre Rameau et Gluck. 1770 est le sommet de sa carrière, bien qu’il ait presque tout composé auparavant. Il prit la relève de Rameau pour l’opéra et de Mondonville pour le Grand Motet.

Dans la problématique du passage du baroque au classique, cette période qui fait qu’en 1764 on répétait Les Boréades et qu’en 1774 on créait Iphigénie en Aulide, Dauvergne permet de comprendre comment l’on passe de l’un à l’autre. Il est le dernier grand représentant du style baroque français après Rameau, Francoeur, Mondonville et Rebel. Il est de la même génération que Grétry, Philidor et Gossec. Ils ont tous commencé à la même époque que lui et se sont croisés chez La Poplinière, mais ont tout de suite écrit « classique ». En 1768, les premières œuvres de Grétry sont déjà néo-pergolèsiennes. Dauvergne n’a quasiment connu et pensé que « baroque », tout en saisissant sur le tard qu’on pouvait utiliser des septièmes diminuées, des septièmes de dominantes ou faire des basses d’Alberti. Il intègre parfaitement toute l’acclimatation de l’école de Mannheim pour les cordes, les histoires de trémolos ou de doubles cordes, de crescendos/decrescendos, l’utilisation des vents. Il sera le premier à écrire des nomenclatures d’orchestres complètes – avec deux hautbois, deux bassons, trois trombones, etc. –, quoique toujours dans le style ancien. Sa musique étonne, un peu comme celle de Campra qui lui aussi est un compositeur d’une période de transition. Quoiqu’extrêmement importants pour leur époque, ils ne furent pas assez forts pour faire basculer le style, ce qu’ont réussi Rameau et Gluck. Nous avons programmé des œuvres qui montrent un peu toutes ses facettes. Malheureusement, tous ses grands motets pour le Concert Spirituel sont perdus. Lorsqu’en 1762 Mondonville est mis dehors, Francoeur et Rebel soutiennent Dauvergne et le place comme directeur. Mais Mondonville est parti avec ses motets, le fond de commerce du Concert Spirituel. Après avoir vainement essayé de négocier avec Mondonville, Dauvergne se retrouve à devoir fournir la formation en grands motets. Ainsi écrit-il en quelques moisun Te Deum, un De Profondis et un Miserere, soit une quinzaine de grands motets dont tout le monde est alors unanime pour reconnaître le génie. Son De profondis passe pour le plus triste et le plus lugubre jamais entendu. Quant au Te Deum, il semble qu’il soit le seul à conserver une forme de solennité et de foi sans pompe trop clinquante. Comme Mondonville, Dauvergne dut tout emporter en quittant son poste, et ne jamais éditer ses motets. Un jour, peut-être, les retrouvera-t-on dans un fonds privé.

Ne disposant pas de sa musique religieuse, nous nous sommes attachés au compositeur et directeur d’opéra qu’il fut. D’abord la période 1750-1770, puis celle de 1770-1790. Il est le dernier directeur de l’Académie royale et quitte son poste avec la révolution, en 1791. C’est l’époque où arrivent les compositeurs étrangers, ce qu’il a favorisé. Il comprend qu’avec Gluck on passe à autre chose et qu’il ne peut pas suivre. Il renonce à composer et devient directeur. Il accueillera Piccini, Salieri, Sacchini, Cherubini, Mehul. Sa correspondance qu’il a parfaitement saisi la musique moderne à laquelle il souscrit. Entre Les Danaïdes de Salieri et Hercule mourant, il y a un monde. Bien peu de compositeurs suivirent comme Dauvergne cette évolution.

Comment s’articulera cette « résurrection »?

Pour montrer le compositeur, nous donnerons La Vénitienne, comédie lyrique d’un style semi léger écrite sur un livret d’Antoine Houdar de la Motte. Côté tragédie lyrique, Hercule mourant (1761) sur un livret de Marmontel. Tout le monde s’accorde à dire qu’il y atteint au style sublime. C’en est la grande époque où l’on passe de la codification du tragique et des passions à l’expression diffuse du sentiment et du pathétique. Hercule mourant fera découvrir ce style dont on n’a pas l’habitude. Ces deux ouvrages seront présentés en entier. Sans oublier un clin d’œil au Dauvergne de la Querelle des Bouffons, celui des Troqueurs (1753) présentés avec La coquette trompée, opéra bouffon avec des récitatifs chantés. On est au début de l’opéra comique, en fait.

Deux concerts montreront Dauvergne directeur de théâtre. L’un présentera des extraits de sa dernière tragédie Lyrique, Polixène (1763) et de la première tragédie lyrique de Gluck, Iphigénie en Aulide. C’est Dauvergne qui admit Gluck à l’opéra, contrairement à ce qui se dit. Il fit simplement savoir que si l’on créait l’œuvre de Gluck, il faudrait se l’attacher afin qu’il composât d’autres ouvrages car les autres musiciens paraitraient démodés. Il avait raison, car après Iphigénie le public ne voulut plus que des œuvres modernes. C’est parce que l’on n’écouta pas Dauvergne que survint la ruine de l’Académie à la fin du siècle. L’autre concert fera entendre des extraits d’un opéra sérieux de Sacchini, Renaud, et une comédie de Grétry, Panurge dans l’Île de la lanterne, un opéra de caractère, drôle. On verra donc comment ce répertoire spécifique est écrit avec des chœurs et des orchestres énormes. À l’époque, les quinze chanteurs de l’Académie Royale intervenaient dans la distribution ; de là naquit l’idée de rassembler autour d’Hervé Niquet une équipe de huit chanteurs qui ont presque le même âge, partageant un enthousiasme et une énergie communs.

Bien que ne possédant pas ses motets, encore fallait-il rendre compte de l’activité de Dauvergne au Concert Spirituel. Paris cultivait alors la virtuosité ; s’y inventa le culte des grands interprètes à travers la symphonie concertante, un genre typiquement français, avec beaucoup d’instruments solos, qui marquera Mozart quand il viendra en 1778, au point de l’influençant fortement. Il écrira d’ailleurs une Symphonie concertante pour instrument à vent et sa Symphonie concertante pour violon et alto, sans compter Idoménée et L’Enlèvement au sérail où vous rencontrez des airs avec instruments concertants. Ce goût apparaît vraiment en 1770, à l’époque de Dauvergne. Avec I Virtuosi delle Muse, jeune ensemble fort intéressant, l’on a construit un programme plutôt ambitieux.

Quelques éléments biographiques

Il vit le jour à Moulins le 4 octobre 1713 – et c’est un 4 octobre que débuteront les Grandes Journées qui lui sont consacrées. Formé sous l’égide de son père, il joue très tôt du violon, à la perfection. Ayant atteint la maturité, Dauvergne se rend à Paris. Sa technique enflamme bientôt ses contemporains qui distinguent en lui un talent hors du commun. En 1739, il est nommé violoniste de la Chambre du roi. Cinq ans plus tard, il intègre l’orchestre de l’Académie royale de musique, avant d’en diriger les exécutions en 1751. Ayant suivi l’enseignement de Rameau, il écrit ses premières œuvres dès les années 1740 : sonates pour violon, sonates en trio et « concerts de symphonie ». En 1755, Dauvergne est nommé Compositeur et Maître de la Chambre du roi. Sept ans plus tard, il devient directeur du Concert Spirituel avec Joliveau et Caperon. C’est dans ce cadre qu’il compose ses grands motets. En 1769, il obtient enfin le poste de directeur de l’Académie royale (avec Joliveau, Berton et Trial). Pour cette institution, il signe plusieurs tragédies lyriques et ballets : Énée et Lavinie, Polyxène, Hercule mourant, Les Fêtes d’Euterpe, etc. jusqu’en 1790 Dauvergne occupe par intermittence cette charge administrative ; en 1764, il avait parallèlement obtenu le poste de Surintendant de la Musique à Versailles. Un petit opéra-comique joué avec succès en 1753, Les Troqueurs, reste paradoxalement son œuvre la plus célèbre. Il quitte la direction de l’Opéra en 1790 et se retire à Lyon où échapper à la Terreur. Il meurt le 12 février 1797, oublié de tous.