Chroniques

par laurent bergnach

Édouard Lalo – Arthur Coquard
La jacquerie

1 livre-disque 2 CD Ediciones Singulares (2016)
ES 1023
Patrick Davin joue La jacquerie (1895), opéra de Lalo achevé par Coquard

Avec ses connaissances historique, politique et musicale – il ravive le souvenir de Campra, Mouret, Mondonville, etc. –, Arthur Pougin (1834-1921) est qualifié pour évoquer l’origine des révoltes paysannes, dans un article paru à la suite de la création parisienne de La jacquerie (Ménestrel, 29 décembre 1895). En 1356, à la tête d’une armée techniquement dépassée, le roi Jean II échoue à repousser les Anglais à Poitiers, devenant leur prisonnier. C’est le début de troubles profonds. Tandis que les bourgeois se révoltent contre le dauphin Charles pour croître en puissance, les nobles rançonnés par l’ennemi saignent un peu plus les paysans, déjà réduits à la misère par le pillage de mercenaires. Connus sous le sobriquet de Jacques Bonhomme ou simplement Jacques – du fait de porter une veste courte nommée jacque –, les opprimés s’arment dans de nombreuses régions durant l’année 1358 (Picardie, Champagne, etc.) et se jettent sur les châteaux.

Librettiste du Roi d’Ys [lire notre chronique du DVD], Édouard Blau situe à Beauvais la demeure du Comte de Sainte-Croix. Celui-ci s’apprête à marier au baron de Savigny sa fille Blanche, laquelle rêve au jeune inconnu blessé qu’elle soigna jadis en son couvent, après une émeute à Paris. Le Sénéchal annonce aux serfs qu’ils vont devoir payer la dot de la fiancée, ce qui met le feu aux poudres. Fils de la fermière Jeanne, Robert arrive justement de la capitale pour diriger une révolte voulue sans violence, au contraire du bûcheron Guillaume (« Arbres ou seigneurs, que m’importe ? »), et sauve la vie de Blanche lors de l’attaque du château. Blanche associe d’abord l’inconnu retrouvé aux meurtriers de son père, mais avoue son amour peu avant qu’il soit poignardé par Guillaume. Elle jure de se retirer dans un cloître.

Dans des scènes féodales conçues par Mérimée (1828), Édouard Lalo (1823-1892) trouve matière à un drame sans mollesse. « Il faut de la fièvre au théâtre, dit-il ; que toutes les conversations servent directement l’action, n’aient aucune longueur, et que le hors d’œuvre soit rejeté ». Et s’il faut vraiment introduire une intrigue amoureuse – initiative d’un librettiste vedette… –, le musicien veut un Robert « fanatique », une Jeanne « sauvage et illuminée », et non un garçon « racontant à l’oreille de sa mère ses amours comme un étudiant du Quartier latin ». Malheureusement, Lalo disparaît au premier quart d’un travail mené à terme par Arthur Coquard (1846-1910), élève et biographe de César Franck, assisté de Simone Arnaud pour parfaire le texte. L’Opéra de Monte-Carlo en accueille la création, le 9 mars 1895.

Réunis à Montpellier l’an passé [lire notre chronique du 24 juillet 2015], sept solistes portent un ouvrage ne dépassant pas deux heures, ressuscité par le Palazetto Bru Zane. Véronique Gens (Blanche) offre un soprano clair fort agile, et Nora Gubisch (Jeanne) un mezzo qui s’avère souvent poignant. En chantres révolutionnaires, nous apprécions Charles Castronovo (Robert) – un familier de Gounod (Mireille, Cinq-Mars) –, parfois puissant jusqu’à la caricature pour réclamer justice et liberté, ainsi que Boris Pinkhasovich (Guillaume), souple et vaillant. Quant à eux, les vilains seigneurs s’incarnent en Jean-Sébastien Bou (Comte), ferme et nuancé, Patrick Bolleire (Sénéchal), autoritaire à souhait, et Enguerrand de Hys (Baron). De Radio France, le Chœur est tonique et l’Orchestre Philharmonique prompt à soutenir une tension omniprésente sous la battue alerte de Patrick Davin.

LB