Chroniques

par david verdier

Venus and Adonis | Vénus et Adonis
opéra de John Blow

Opéra Comique, Paris
- 15 décembre 2012
Venus and Adonis, opéra de John Blow
© philippe delval

Impossible de ne pas superposer le modèle de Didon et Énée à cet opéra de John Blow, Vénus et Adonis, même si – une fois n'est pas coutume – la supériorité de l'élève Purcell éclate à chaque instant de l'œuvre de son maître. On ne saurait vraiment en vouloir à ce qui reste le premier opéra digne de ce nom créé en Angleterre. Les circonstances dans lesquelles il fut porté sur les fonds baptismaux révèlent une commande aux intérêts sociopolitiques essentiellement orientés par le goût de Charles II pour l'opéra français. Or, si au même moment Charpentier compose, d'après Ovide revu et corrigé par Desmarets, un Vénus et Adonis frissonnant et dramatique [lire notre chronique du 28 avril 2006], la version anglaise n'a malheureusement que les piètres vers d'Anne Kingsmill Finch qui anesthésie l'action et la figent en une série de tableaux lénifiants et hiératiques. La musique de Blow se brise sur cet écueil littéraire, malgré tout l'effort perceptible pour dominer l'obstacle et créer de l'intérêt. Si du côté de Purcell la durée très courte de l'ouvrage participait à une forme de concision-concentration extraordinaire de l'action et de la musique, dans Venus and Adonis elle contraint le duo Louise Moaty-Bertrand Cuiller à adjoindre intelligemment à l'opéra deux prologues successifs, l'un parlé (le Sonnet 43 de Shakespeare, When most I wink) et l'autre chanté (l'ode Begin the song).

Cette proposition ne peut toutefois faire oublier la nature et le contexte privés de l'ouvrage qui semblent exiger une dimension scénique plus modeste et plus appropriée à la projection des voix. Le spectateur contemporain observe une œuvre destinée à un espace où se confondaient acteurs et public. La modestie dramatique a pour conséquence un travail a minima de la mise en scène, réduite pour l'essentiel à des gestes que ne renierait pas Bob Wilson, s'ils n'étaient inspirés par un travail de recherche très documenté dont on trouve ici l'écho amoindri, loin des succès de Cadmus et Hermione [lire nos chroniques des 21 janvier 2008 et 17 décembre 2010] ou Amadis de Gaule [lire notre chronique du 12 décembre 2011]. On regrette la force et la pertinence gestuelle qu'on retrouvait dans le théâtre baroque mis en scène par Benjamin Lazar et Louise Moaty, en particulier les pièces de Cyrano de Bergerac ou Théophile de Viau. Devenu systématique, le recours à l'éclairage à la bougie n'apporte ici rien de décisif, tout juste l'irritation d'y retrouver un marqueur visuel qui signe la production en lui assignant un agréable coloris esthétique. Cette apologie de l'épure et du retour aux sources mue le sens dramatique en sens décoratif. Le récit d'Ovide est orné d'intentions plastiques – voire picturales – d'une beauté indéniable sur le mode de la fresque post-Renaissance (avec colombes et chiens de chasse), mais on cherche vainement la fonction organique et l'effet théâtral qui viendrait magnifier et rehausser le livret.

De la même manière, les chorégraphies de Françoise Denieau sont malheureusement hors propos et courent du prologue à l'action en multipliant des interventions stéréotypées faites de surgissements, de bonds et de rondes qui finissent par lasser tant ce collage de mouvements jure sur le fond. En revanche, c'est avec soulagement et plaisir qu'on assiste à la bataille des cupidons qui viennent donner des coups de pieds revigorants dans ce théâtre Nô qui ne dit pas son nom.

La Maîtrise de Caen (préparée par Olivier Opdebeeck) subit une disposition peu commode, de front et sur toute la largeur, ce qui souligne l'aspect hétérogène de certaines interventions particulièrement exposées, comme dans le Prologue. L'aspect musical ne doit pas faire oublier la perception parfois problématique de l'ancien anglais, déjà difficile dans son approche livresque mais constituant une véritable gageure pour les chanteurs. On ignorait la proximité de Shakespeare avec l'irlandais de James Joyce mais le chant réserve d'autres surprises, en particulier du fait de certaines langueurs inutiles qui obligent à retarder de façon excessive la résolution des phrases. La voix verte et peu assurée du (trop) jeune Romain Delalande (Cupidon) trahit une mue prochaine et ici rédhibitoire pour un rôle aussi important. Marc Mauillon (Adonis) est un chanteur éblouissant, avec une inimitable gouaille virtuose à la Belmondo de la Nouvelle Vague. Ce timbre si particulier et si percutant dans d'autres répertoires semble ici bien à l'étroit dans son costume pastoral. La prononciation peine à se faire entendre clairement, malgré une projection un brin surdimensionnée par rapport au reste du plateau. Céline Scheen (Venus) joue d'une émolliente gestuelle et d'une pâte vocale mordorée parfaitement proportionnée à son rôle. Saluons la direction nette et franche de Bertrand Cuiller qui ne ménage pas ses efforts pour animer une fosse tenue à l'écart par le statisme de la scène.

DV