Chroniques

par laurent bergnach

Un temps bis
moment composé de Georges Aperghis

ManiFeste / Théâtre de Gennevilliers
- 14 juin 2014
Un temps bis, moment composé de Georges Aperghis
© philippe stirnweiss

Sans conteste, la nouvelle édition de ManiFeste laisse une place appréciable à des écrivains marquants de l’après-guerre, tels Foucault, Mrożek, Guyotat et Beckett (1906-1989). Ces deux derniers y sont célébrés durant plusieurs jours, pour leur talent à malmener le langage, non sans humour et dérision, mais avec une différence qui les sépare encore : l’auteur de Géhenne (à paraître) n’a jamais vraiment collaboré avec un musicien tandis qu’on ne compte plus ceux qu’a inspirés celui de MolloyCombier (Noir gris), Dusapin (Quad, Watt), Feldman (Words and Music), Glass (musiques de scène pour la compagnie d’avant-garde Mabou Mines) ou encore Kurtág (son premier opéra Fin de partie, annoncé en création à Salzbourg pour 2015).

Il faut y ajouter Georges Aperghis qui, répondant à une envie commune de travailler avec la comédienne Valérie Dréville et l’altiste Geneviève Strosser, présente aujourd’hui Un temps bis. À cheval entre spectacle et lecture, ce « moment composé » offre trois partitions variées, en alternance avec trois textes de Beckett (plus quelques Mirlitonades éparses, ici dialoguées). Le plateau est vide, à part trois larges miroirs disposés de façon à se réfléchir à terre ou en haut de scène. Mais ce que nous voyons d’abord, dans la pénombre entretenue, ce sont deux paires de pieds nus qui crissent par reptation et mettent d’emblée à distance les femmes-tronc de Machinations et Tourbillons [lire nos chroniques du 20 juin 2008 et du 5 juin 2005].

Les deux textes d’ouverture sont extraits de Pour finir encore et autres foirades (1976) : Immobile et Pour finir encore (traduit pour l’un, écrit pour l’autre en 1970). Difficile d’entrer dans le spectacle avec le premier, interminable comme le mouvement qu’il évoque (« le poing droit s’ouvrant lentement lâche l’accoudoir entraînant tout l’avant-bras y compris le coude […] »), mais le suivant nous y aide, sans doute par son contenu moins minimaliste (« crâne donc pour finir seul dans le noir le vide sans cou ni traits seule la boîte lieu dernier dans le noir le vide »).

Écrit et publié sous forme d’une plaquette au tirage limité en 1966, Bing est aujourd’hui disponible dans le recueil Têtes-mortes (1972). Il y a bientôt vingt-cinq ans, Jean-Luc Borg portait en pionnier ce texte au théâtre, après avoir passé un an et demi à l’apprivoiser. C’est avec ce troisième moment qu’on mesure vraiment le tour de force accompli depuis le début par l’ancienne élève de Vitez, tant il regorge de pièges pour la mémoire (« blanc nu un mètre fixe hop fixe ailleurs sans son jambes collées comme cousues talons joints angle droit mains pendues ouvertes creux face »), mais aussi d’une musicalité en osmose avec l’univers d’Aperghis.

Côté « musique de notes », l’altiste interprète avec concentration deux pièces gravées récemment pour æon : Toccatina (1988) d’Helmut Lachenmann, qui égraine gouttes et craquements fascinants, et Ali (1978) de Franco Donatoni, dyptique d’une virtuosité plus composite [lire notre critique du CD]. La troisième est une création touffue, Uhrwerk, signée par le concepteur de Luna Park – repris au Centre Pompidou, en fin de semaine [lire notre critique du 9 juin 2011]. La soirée s’achève avec des applaudissements et un mot en faveur des intermittents du spectacle, malmenés par une nouvelle réforme du système d’indemnisation chômage.

LB