Chroniques

par bertrand bolognesi

Ulf Schirmer joue Cinq-Mars, opéra de Charles Gounod
Chor des Bayerischen Rundfunks et Münchner Rundfunkorchester

Opéra Royal, Château de Versailles
- 29 janvier 2015
le chef allemand Ulf Schirmer dirige Cinq-Mars, opéra de Gounod, à Versailles
© kirsten nijhof | oper leipzig

Quelques semaines après avoir publié les Lettres de Charles Gounod à Pauline Viardot, livre poursuivant désormais chez Actes Sud sa belle collection commencée chez Symétrie [lire notre critique de l’ouvrage], le Palazzetto Bru Zane s’attelle à la résurrection d’un opéra aujourd’hui oublié du compositeur français, Cinq-Mars, écrit sur un livret de Paul Poirson et Louis Gallet d’après le roman éponyme d’Alfred de Vigny. Créé à l’Opéra Comique au printemps 1877, l’objet connut quelques soixante représentations parisiennes et de timides reprises en région et à l’étranger, dont celles de la Scala (janvier 1878), au fil desquelles Gounod révisa plusieurs fois son travail sans qu’il en semblât jamais vraiment satisfait, nous apprend Gérard Condé dans la brochure de salle – par ailleurs l’auteur d’une imposante biographie du musicien (Fayard, 2009).

Après Vienne et Munich, le public français redécouvre ce soir cette œuvre, donnée en version de concert et dans son intégralité à l’Opéra Royal, par une dizaine de voix solistes, le Chor des Bayerischen Rundfunks et le Münchner Rundfunkorchester que dirige Ulf Schirmer. Immédiatement se fait entendre la grande expérience de fosse du chef allemand, actuel « patron » de l’orchestre ici présent (depuis 2006) mais encore, depuis près de cinq ans, directeur musical de l’Opéra de Leipzig où l’on put l’applaudir [lire notre chronique du 24 mai 2013]. Après un accord puissant et d’une grandiloquence « historique », pour ainsi dire, le Prélude lui-même arrive de loin, sa sinuosité troublante suggérant d’emblée le climat comploteur. On goûte la qualité des instrumentistes de la formation radiophonique bavaroise, notamment sa petite harmonie dont flûtes, clarinettes et bassons servent au mieux les traits que la partition leur réserve, et si, bien qu’irréprochable, le tutti de cordes ne possède guère de personnalité marquante, ses altos sont d’une efficacité rare qu’il convient de saluer.

La lecture de Schirmer se concentre avant tout sur le drame, magnifié par une tonicité louable, et ne s’autorise la finasserie des timbres que dans le deuxième tableau de l’Acte II, musique de divertissement joliment troussée quant à son imitation d’un bal de cour mais, il faut l’avouer, assez dispensable en ce qu’elle éloigne de l’argument et diffère le nœud de l’intrigue. Sans noircir trop le ton général, le chef engage toujours plus sûrement ses troupes dans ce théâtre de la trahison, par-delà une simplicité de facture, celle d’un Gounod maître de son art, qui laisse à la littérature les accents les plus « pompiers » – en cela, le final du II surprend par le contraste entre la sobriété du traitement musical et la rodomontade patriotique du texte. Préparés par Stellario Fagone, les artistes du Chor des Bayerischen Rundfunks (dont deux tiennent une brève partie soliste) offrent une fort belle prestation qui brille par le grand soin apporté à la nuance, souvent douce, plus encore qu’en ses passages les plus vaillants. Une seule réserve : on n’en comprend guère le français… mais il est à supposer qu’un chœur bien de chez nous ne ferait pas mieux sur ce point quand vraisemblablement il satisferait nettement moins quant à la musicalité.

Outre qu’on l’apprécie à travers des ensembles parfaitement réglés (duo masculin puis quatuor de l’Acte I, trio furieux du II, etc.), le plateau vocal s’avère individuellement probant. Parmi les rôles secondaires, Jacques-Greg Belobo donne un Roi et un Chancelier généreusement impactés, Andrew Lepri Meyer fait un gentil Montmort (également Ambassadeur) et Marie Lenormand, dont la ligne de chant séduit en Ninon de l’Enclos, se montre agile et pleine d’esprit dans la partie du Berger. On retrouve la robustesse d’André Heyboer en un Vicomte de Fontrailles très « confortable », pour la diction et la projection ; quoiqu’un peu à l’esbroufe, son air On ne verra plus dans Paris (II) n’est pas dénué de panache. Le quatuor principal souffre d’un certain manque d’unité, avec l’excellent Andrew Foster-Williams à la diction exemplaire qui commence son Père Joseph d’une saine autorité et d’un style idéal, mais semble respirer moins aisément au deuxième acte et s’épuiser ensuite – sans doute le baryton-basse n’est-il pas au mieux de sa forme. En Marie, Véronique Gens remplit honnêtement son contrat, sans plus. En revanche, Tassis Christoyannis hausse, dans le rôle de Thou, sensiblement le niveau, grâce au timbre coloré qu’on lui connaît bien (baryton franc, corsé, voire héroïque) et à la conduite judicieuse de son chant, à laquelle répond celle du ténor Charles Castronovo, au début un rien timorée dans le haut-médium mais bientôt sûre, ouvrant un aigu riche, par-delà un investissement qui demeure peut-être plus technique que musical.

BB