Chroniques

par bertrand bolognesi

Tremplin de la création, premier concert
Guillaume Bourgogne dirige l’Ensemble Cairn

Cité de la musique, Paris
- 12 mars 2022
la jeune compositrice turque Senay Uğurlu, née en 1997...
© dr

Quatre concerts comprenant chacun sept pages de jeunes compositeurs, cela fait quelques vingt-huit nouveaux opus ! En une seule journée, voilà qui tient du marathon. De fait, si l’on mit tout récemment l’accent sur les programmes trop longs de certains concerts de l’édition 2022 du festival Présences [lire notre chronique du 13 février 2022], on en pourra dire autant de ce Tremplin de la création, imaginé par les ensembles Cairn, Multilatérale, Intercontemporain, le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon et la Philharmonie de Paris, à ceci près que ce côté vitrine est non seulement assumé comme tel mais qu’il est intrinsèquement lié à la démarche consistant à jouer et faire entendre des propositions compositionnelles très différentes, quelles qu’en soient les esthétiques. D’abord orienté vers les jeunes créateurs français, le projet prit rapidement une dimension européenne, de sorte qu’à une majorité d’œuvres écrites par des Français se joignent aujourd’hui celle de musiciens venus d’Allemagne, de Chypre, de Corée du Sud, d’Écosse, d’Espagne, des États-Unis, de Grèce, d’Italie, de Turquie et d’Ukraine.

À onze heures, il revient à l’Ensemble Cairn [lire nos chroniques du 23 février 2014, des 11 juin et 20 novembre 2017, du 13 décembre 2018 et du 3 février 2021] d’ouvrir l’événement, sous la direction de Guillaume Bourgogne. Conçu pour flûte basse, clarinette basse, violoncelle, piano et électronique, Seamy Side de Katarina Gryvul (né en 1993) manie principalement des sons périphériques – bruits de clés, souffles, cluster sur le cordier du piano, bande adhésive frottée sur ses cordes graves, etc. On a du mal à percevoir les subtilités de cette pièce de la compositrice ukrainienne, écrite en 2020 pour le MCME (Ensemble de musique contemporaine de Moscou) qui l’a créée. S’ensuit self-absorption (flûte, clarinette basse, violon, alto, violoncelle, percussion et synthétiseur) de l’Espagnol Manuel Hidalgo Navas (1998) dont les quatre séquences jouent sur le principe de répétition, rehaussé de reprises évolutives, dans un couloir de hauteurs circonscrit. Un passage en marche d’accords en fragmente le flux, avant un retour où s’enrichissent les parties de chaque instrument, puis un solo du violoncelle contamine la facture de ses lancinances. Née dans le Pays basque, à Saint-Palais, Maylis Raynal (1990) livre DIXIT pour électronique… qui n’a pas retenu notre écoute peut-être fautive, d’ailleurs.

En demi-teinte (flûte, clarinette en si bémol, violon, violoncelle et piano) de Nicolas Brochec (1994), réalisateur en informatique musicale, musicologue et ancien élève des classes de composition de Daniel D’Adamo et Georges Bloch à Strasbourg, « s’inspire d’une technique picturale du même nom et transpose […] l’idée du ni clair ni foncé en textures sonores ni harmoniques ni bruitées », dit-il (brochure de salle). Les trois tableaux à le constituer manipulent des oxydations questionneuses. À l’inverse, le dépouillement choisi par Ana Meunier (1998) pour Stridulations (clarinette basse, violon, alto, violoncelle, percussion et piano) absorbe l’écoute en l’engageant dans la convergence des sons vers la grosse caisse qui « tient le rôle d’acteur principal » (même source), mis à distance par les échos campanaires du piano. En exergue de dep.R(i)e. viv.al.a.tion (flûte, clarinette basse, violon, alto, violoncelle, percussion et piano) de Senay Uğurlu (1997) [photo], on peut lire quatre vers prononcés par Cordelia dans King Lear (Shakespeare). Le titre « est un terme artificiellement créé à partir des caractères phonétiques des mots privation et revival (renaissance) », précise la compositrice turque. La facture à la fois tonique et raffinée explore une nostalgie dolente plus ou moins comparable à celles parfois rencontrées chez Judit Vargas et Dai Fujikura. Le Toulousain Quentin Lauvray (1997), quant à lui, disloque une rythmique chaloupée dans une lumière inquiète avec La joie spacieuse (flûte en ut + piccolo + flûte basse, clarinette en si, violon, alto, violoncelle, percussion et piano). À l’exception de Seamy Side de Gryvul, ces pièces sont données en première mondiale.

BB