Chroniques

par bertrand bolognesi

concert 12 – création de Stèles d’air de Jérôme Combier
Ensemble Cairn et Kammersensemble Neue Musik Berlin

Mark Barden, Raphaël Cendo, et Helmut Lachenmann
Présences / Maison de Radio France, Paris
- 23 février 2014
cette œuvre Fluxus illustre idéalement l'exaspérante hystérie de Raphaël Cendo
© nassauischer kunstverein wiesbaden

Deuxième rendez-vous de ce dimanche, après le précieux moment [lire notre chronique du jour], toujours au Studio 106 de la Maison de Radio France. Vous souvenez-vous des grandes années de Présences ? De celles où ce festival ouvrait les portes à la vaste Salle Olivier Messiaen qu’alors le public envahissait complètement, balcon compris ?... À l’heure actuelle, l’auditorium étant fermé pour travaux, c’est dans des lieux à toutes petites jauges qu’on joue des concerts qui semblent peuplés de même façon, mais il ne faut pas oublier la différence considérable qu’il y a entre refuser du monde lorsqu’on présente un programme dans la grande salle et discipliner une petite centaine de mélomanes afin de gérer l’accès par une porte de côté, pour ne pas dire une porte dérobée.

À parler sinon discipline du moins gestion du public, sans doute convient-il d’aviser le service de surveillance de l’institution qu’il semble assez inutile de fouiller les effets du spectateur : n’est-ce pas dans certaines partitions qu’on trouvera l’arme du crime – enfin, si ce n’est la bombe redoutée, du moins l’indésirable agressivité ? C’est en effet un véritable « attentat contre l’écoute » – notre illustration photographique, empruntée à l’exposition Fluxus 50 de Wiesbaden, le fera presque entendre – qu’il nous est donné de subir en conclusion de la première partie du présent programme, à tel point qu’on se surprend à protéger ses oreilles de tels excès, tout comme un bon quart des gradins (les trois autres sont soit trop loin, soit déjà sourds). Chers vigiles, ne vous contentez pas d’ouvrir les sacs à mains, s’il vous plait : c’est sur scène qu’on tue. Le délit s’appelle Charge et son inventeur Raphaël Cendo, compositeur joué pour la seconde fois dans cette édition Paris Berlin [lire notre chronique du 16 février 2014].

En mettant en présence deux ensembles instrumentaux, l’un allemand l’autre français, qui joueront en alternance mais conjugueront à deux reprises leurs efforts, Présences honore la thématique qu’elle s’est donnée ; de même en croisant les œuvres d’auteurs rivés de part et d’autre du Rhin – quand bien même la chose n’est pas si simple en y regardant de plus près, puisque le Français Cendo vit actuellement à Berlin. À la tête de son ensemble Cairn, Guillaume Bourgogne joue Charge, une œuvre de 2009 avec laquelle s’ouvrait le CD monographique paru chez æon, et qui fut créée à Royaumont il y a un peu plus de quatre ans par musikFabrik. Mieux vaudra ne pas s’acharner sur ce pseudo free jazz affolé et affolant qui sent l’alcool, la résine, la seringue et la poudre, sur cette révolution « saturationniste » qui fait la guerre civile dans les salons cossus.

Il est cependant dommage que l’agression sommaire d’une telle pièce ne laisse guère disponible à l’écoute par la suite. Ainsi de Stèles d’air, heureusement séparé de l’adolescente baudruche par un bref entracte qui ne suffit pas à chasser l’urticaire. Au commencement il y eut Vies silencieuses, composé entre 2004 et 2008 à la Villa Médicis (Rome) par Jérôme Combier. Dans l’esprit des dernières aquarelles du peintre émilien Giorgio Morandi (1890-1964), où l’objet se laisse à peine percevoir dans son effacement même, et en référence à ce qu’en écrivit le poète Philippe Jaccottet – « des stèles d’air qu’un roi sans royaume aurait fait dresser à des confins sans nom, à l’ultime bord du monde visible » –, le compositeur érode les pièces antérieures dont surgit alors la puissance de l’ébauche. Cette création mondiale (et il y en eut peu, cette fois, durant Présences, avouons-le) est effectuée par Cairn et le Kammerensemble Neue Musik Berlin. Dès son attaque en furtive morsure, pour ainsi dire, une densité farouche traverse Stèles d’air, tamisée d’une aura spectrale mais encore d’un battement oriental, rituel, battement campanaire discret mais prégnant (jamais il ne disparaît vraiment ; sa latence obsède). Combier tisse avec le plus fin discernement la délicatesse à la subtilité, l’imagination et la diaphanéité, dans une tension qui ne cède rien. Après un trait flûtistique mis dans la lumière, un rappel de scansion, surgira la suave esquisse d’un quatuor à cordes d’antan. Oublié ce bref halo romantique, une caresse métallique conclut le geste.

En ouverture de soirée, le duo franco-allemand donnait Mouvement (-vor der Erstarrung) d’Helmut Lachenmann, une pièce achevée en 1984. Puis la formation berlinoise jouait en création mondiale Five Monoliths de l’étatsunien Mark Barden, qui réside actuellement en Allemagne. Exploration de son frottés (archets sur bord de pupitre, sur carrés de polystyrène, etc.)… maillage électronique volontiers suraigu… accord bref répété quelques soixante-six fois, avec intrusion d’un roulement de caisse au vingtième… Et alors? Hormis l’œuvre de Jérôme Combier en seconde partie, on se souviendra surtout d’une première qui, pour cinquante minutes de musique imposait vingt-huit de changements de plateau – interminable.

BB