Chroniques

par bertrand bolognesi

Thomas Hengelbrock
NDR Sinfonieorchester Hamburg, WDR Rundfunkchor Köln

Carl Maria von Weber | Der Freischütz (opéra en version de concert)
Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 14 septembre 2015
avec grand soin, Thomas Hengelbrock livre un fort beau Freischütz
© florence grandidier

S’il est unanimement admis que Der Freischütz est l’opus fondateur de l’opéra allemand, encore demeure-t-il plus que rare sur les scènes françaises, destin partagé avec Une vie pour le tsar, son homologue russe (Glinka, Жизнь за царя, 1836). On s’étonne encore qu’une page d’une telle importance retienne peu l’attention de nos décideurs, quand ce soir le taux de remplissage du théâtre ne laisse pas de doute quant à l’intérêt du public, visiblement demandeur. Après la lecture un rien provocatrice de Guy Joosten à Montpellier [lire notre chronique du 21 janvier 2004], celle plus timorée de Jean-Louis Benoit à Toulon [lire notre chronique du 1er février 2011], l’adaptation berliozienne n’étant pas à compter [lire notre chronique du 9 avril 2011], l’on retrouve avec plaisir le bel ouvrage de Carl Maria von Weber… en version de concert, ce qui soulève une nouvelle question : une production en bonne et due forme n’attirerait-elle pas une si vaste assemblée durant trois ou quatre représentations ?..

Sainement tronqué de son mélodrame (qui n’aurait rien gagné à ce qu’on le dît dans ces circonstances, quand bien même traduit dans notre langue), mais accompagné d’un Samiel francophone cadrant l’exécution de sa brève narration (Graham F. Valentine), Der Freischütz bénéficie d’une interprétation fort soigneuse dont peuvent s’enorgueillir quelques-uns des protagonistes. À commencer par Thomas Hengelbrock qui, à la tête d’un Norddeutscher Rundfunk Sinfonieorchester Hamburg en excellente forme (dont il est le « patron » depuis quatre ans), cisèle une approche vive et enthousiaste, quoique jamais emportée, dont on applaudit volontiers la vigueur générale comme les traits ponctuels. La tonicité des cordes le dispute à l’efficacité des cuivres, jusqu’en des nuances parfois périlleuses toujours avantageusement assurées. Enfin, saluons l’excellence du violoncelle solo dont la plénitude tranquille caresse généreusement l’écoute. Avec ses atouts, Hengelbrock magnifie l’œuvre d’une expressivité bien venue, toujours au service du drame.

Sur huit rôles, cinq satisfont parfaitement. Ainsi l’évidence simple de Christoph Liebold offre-t-elle un Kilian de bon aloi, quand Yorck Felix Speer mène un ferme Kouno. Au même chapitre, distinguons l’Ottokar confortablement impacté de Miljenko Turk ainsi que l’attachante Ännchen de Christina Landshamer, affichant un style infiniment cultivé, mais surtout Nikolaï Schukoff, Max remarquable de concentration, avec un grave plus coloré que de coutume, une impédance exacte, une stabilité qui autorise une conduite sensible de la dynamique.

L’indéniable autorité de Franz-Josef Selig n’est certes pas à mettre en doute, loin s’en faut, mais sa prestation d’aujourd’hui accuse une légère fatigue. Quant à Kaspar, il souffre du peu d’à-propos d’un artiste que par ailleurs l’on a complimenté : Dimitri Ivachenko use de puissance pour une incarnation assez caricaturale et, surtout, vocalement peu fidèle. Irréprochable quant à l’impact, au legato et à la joliesse du phrasé, Véronique Gens donne, en un idiome indéfini, une honnête Agathe qui cependant laisse de marbre. Encore faut-il féliciter les voix des WDR Rundfunkchor Köln et NDR Chor Hamburg pour la hardiesse des parties les plus robustes et la subtilité des plus nuancées.

BB