Chroniques

par bruno serrou

Der Freischütz | Le franc-tireur
opéra de Carl Maria von Weber

Opéra de Toulon
- 1er février 2011
© frédéric stéphan

Réputé premier opéra romantique allemand, davantage encore que Fidelio de Beethoven créé à Vienne en 1805 et qui avait fortement impressionné l’auteur, Der Freischütz de Carl Maria von Weber (1786-1826) conte la forêt, ses mystères, ses ombres fantomatiques et les peurs qu’elle suscite, si représentatives du XIXe siècle en terres germaniques. Après sept ans de réflexion et deux opéras – Silvana (1810) et Abu Assan (1811) –, Weber demande à l’avocat-poète, directeur de revues Johann Friedrich Kind (1768-1843) de lui confectionner un livret adaptant le conte populaire Des Jägers Braut (La Femme du chasseur) qu’il ne commencera à mettre en musique qu’à partir de juillet 1817.

L’action a pour cadre la forêt de Bohême, aux confins de la Bavière et de la Tchéquie, peu après le Traité de Westphalie qui, en 1648, mit fin à la Guerre de Trente Ans. Le hobereau Max aime la belle Agathe, fille du garde forestier Kuno. Il veut gagner un concours de tir dont l’enjeu est la nomination du nouveau garde-chasse et obtenir ainsi la main d’Agathe. Mais il perd dès la première épreuve. Ami sans scrupule, Kaspar doit amener une nouvelle victime au diable Samiel auquel il a vendu son âme. Il convainc Max d’accepter que Samiel lui fournisse des balles magiques. Agathe s’inquiète bien que sa fidèle amie fasse son possible pour la rassurer. Max rejoint les jeunes filles puis les quitte en prétextant la récupération du cadavre d’un cerf qu’il aurait tué dans la Gorge aux loups, lieux terrifiant.

Au milieu de visions et de bruits étranges, Kaspar prépare sept balles pour Max, mais la dernière obéira à la volonté de Samiel. Agathe se prépare à épouser Max, mais elle fait des cauchemars qu’Ännchen commente pour la réconforter. Max surprend tout le monde au concours de tir. Tant et si bien que le prince Ottokar, duc de Bohême qui préside, lui ordonne de tirer sur une colombe blanche avec la septième balle. Agathe surgit brusquement du bosquet où se trouve l’oiseau. Max tire, la colombe s'envole et Agathe tombe, inanimée. Elle reprend conscience, mais Kaspar est mortellement blessé. Max avoue son pacte avec Samiel, mais grâce à l’intervention d’un ermite, il est pardonné.

Divisée en trois actes, cinq tableaux et seize numéros, avec une grande partie du texte traitée sous forme de dialogues parlés, la partition déploie deux grands moments de musique, à la fin des deux derniers actes conclus par de grands finales Durchkomponiert, c’est-à-dire avec une musique et des paroles chantées en continu, enchâssant récitatifs, airs, ensembles et chœurs, ce que Weber développera dans la totalité de son opéra Euryanthe (1823) et que Wagner portera à son paroxysme. C’est dire combien Der Freischütz marque une étape capitale dans l’émergence de l’opéra moderne.

Pour en arriver là, il fallut trois ans avant la création de l’ouvrage qui adopte alors son titre définitif Der Freischütz. Cette création est fixée à la demande expresse du roi de Prusse Frédéric Guillaume III au 18 juin 1821 (jour anniversaire de la défaite de Napoléon à Waterloo en 1815), à la Neue Königlische Schauspielhaus de Berlin, où l’ouvrage emporte un véritable triomphe. Un vif succès confirmé à Vienne le 3 octobre suivant, puis à Dresde le 26 janvier 1822, avant de devenir l’opéra le plus célèbre de Weber, érigé rapidement en symbole de l’émergence de l’opéra romantique allemand.

Parmi les nombreux artistes qui ont été influencés par Der Freischütz figure le jeune Richard Wagner, considéré par beaucoup comme le successeur de Weber. En France, sans doute en raison de ses longs dialogues parlés, l’ouvrage apparaît pour la première fois au Théâtre de l’Odéon le 7 décembre 1824 dans une adaptation française de Castil-Blaze et Thomas Sauvage fort éloignée de l’original et intitulée Robin des Bois ou les Trois Balles, qui sera régulièrement reprise, notamment à l’Opéra Comique en 1835 et au Théâtre Lyrique, vingt ans plus tard. Une seconde version française, plus fidèle, est réalisée en 1841 par Hector Berlioz et Emilien Pacini pour l’Opéra de Paris sous le titre Le Freischütz. Cependant, dès 1829, la version originale était créée au Théâtre Italien par une troupe allemande. Pourtant, le chef-d’œuvre de Weber est aujourd’hui encore fort peu présent sur la scène française, Paris ne l’ayant pas revu depuis la production d’Achim Freyer et Marek Janowski donnée au Théâtre du Châtelet en… 1988.

Cette coproduction de Toulon et Saint-Etienne (qui la montrera en avril) est fort convaincante. Dans la fosse, Laurence Equilbey dirige avec tact et conviction, tandis que la mise en scène simple et orthodoxe de Jean-Louis Benoit se montre efficace, avec une direction d’acteurs efficiente dans des décors lisibles et sans prétention de Laurent Peduzzi et des costumes hétéroclites de Marie Sartoux.

Une distribution jeune et homogène conforte le tout, avec la belle Agathe à la voix de velours du soprano étatsunien Jacquelyn Wagner, la juvénile et chaleureuse Ännchen du soprano canadien Mélanie Boisvert, l’impressionnant Kaspar du baryton-basse moldave Roman Ialcic, le formidable Kilian du baryton moldave Igor Gnidii, et il convient aussi de citer les excellents Kuno de Nika Guliashvili, Ottokar de Bartlomiej Misiuda et, à un moindre degré, l’Ermite de Fernand Bernadi.

Reste le cas de Max, campé par le ténor allemand Jürgen Müller, de belle stature mais vocalement indisposé ce soir, alors même qu'il a refusé une annonce publique avant le début de la représentation. Quelques décalages entre le chœur et l’orchestre et au sein même du chœur, surtout pour celui des chasseurs, et des approximations dans les solos instrumentaux, notamment le violoncelle, ont rappelé la difficulté de la partition, tandis que les cors, pourtant fort sollicités par Weber, ont été tout ce qu’il y a de digne.

Une soirée qui atteste des qualités d’exigence des théâtres d’opéra français qui n’occupent guère l’avant-scène lyrique.

BS