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Chroniques
Sven-Ingo Koch | Salut to S.D. (2006), en création française
œuvres de Brahms, Haydn et Martinů
Chaque été, dans un climat convivial, est donnée une semaine de concerts par des instrumentistes partageant avec amitié leur passion, dans le fort beau Prieuré de Salagon, à quelques virages de Forcalquier. Les cinq rendez-vous de l'édition 2007 sont articulés par une franche cohérence des programmes. Une page de Haydn – de sorte que ce festival couvrira tous les âges de sa production – introduit chacun d’eux, suivie d'une pièce du compositeur allemand Sven-Ingo Koch (né en 1974). Pour finir, on goûtera le répertoire avec Beethoven, Brahms, Fauré, Rachmaninov ou Schönberg, mais encore quelques raretés, comme le Trio H.79 et le Quintette H.7 de Frank Bridge, par exemple.
Le Trio pour flûte, violoncelle et piano en sol majeur Hob.XV.15 de Joseph Haydn ouvre le premier concert. Dès l'Allegro, à la dynamique soigneusement conduite du violoncelle d'Olivier Marron répond le piano à la clarté finement ciselé d'Alexandre Tharaud, la naturelle vocalité de la flûte, magnifiée par l'acoustique généreuse du lieu, accordant un rôle dominant à Juliette Hurel. Le pianiste réserve une sonorité plus ronde à l'Andante central, sans aucune emphase, cependant, où s'entendent des figures ornementales élégamment articulées. Sur un souvenir de continuo baroque (violoncelle), le clavier impose une présence nettement incisive dans l'Allegro moderato où le goût haydnien de l'expérience et du risque stimule joyeusement l'écoute – sans quitter les limites d'une esthétique gracieusement circonscrite, bien sûr. Dans un tendre moelleux, l'ultime suspension cadentielle surprend, donnant aimablement la parole… aux grenouilles !
Avant Salut to S.D. de Sven-Ingo Koch, Juliette Hurel présente à l'auditoire les techniques de jeu auxquelles l'auteur a recours dans cette œuvre en trois brèves parties. Après avoir fait démonstration des divers effets qu'on y croisera, elle évoque l'intérêt de la rencontre avec le compositeur : « lorsqu'on découvre la partition, on a son idée, puis il vient l'affiner ou la contredire. On rêve tellement de pouvoir rencontrer Haydn quand on travaille un trio comme celui que nous venons de jouer ! ». Nous entendrons d'abord la plainte du souffle qui alterne avec le chant, dans une écriture micro-intervallaire au climat incantatoire qui n'est pas sans rappeler les flûtes japonaises. Puis un doute, au fil d’une déambulation plus affirmée, quoiqu’hésitante. Enfin une « hystérie schizophrène », selon Koch lui-même, qui cependant respire plus que le laisse supposer cette définition, et convoque un silence en tension, dans une croissante frénésie qui n'explosera pas dans le déchaînement « défoulatoire » annoncé.
Conçue l'an dernier, Salut to S.D. est la première pièce qu'Ingo-Sven Koch écrit pour flûte solo, bien que l'instrument soit présent dans sa musique de chambre – Werden (1999), Er schaut die Schlange an (2004), ich hörte das Pfeifen der Eisenbahnzüge, das die Entfernungen markierte und mich die Weite der öden Landschaft erraten ließ (2005) – et ses pages d'ensemble ou d'orchestre. Élève Ferneyhough et Huber, Koch approfondit ses études en Californie. Il y fit l'étrange expérience de n'être pas compris, ne pouvant plus s'exprimer directement et naturellement dans sa langue natale.
« Le choc des cultures et cette solitude particulière influencèrent beaucoup ma musique, nous confie-t-il. Cela m'a donné l'idée d'écrire pour des couches sonores indépendantes qui se croisent, se confrontent ou s'ignorent. Cela m'ouvrit la voie d'une nouvelle expressivité. À l'orchestre symphonique, Mahler a intégré le klezmer, de même qu'Ives utilisait des matériaux inattendus. Le premier a subtilement dissimulé ces inserts en les interprétant, tandis qu'Ives organisa l'orchestre comme un entrechoc de couches. Dans sa peinture, Max Ernst confrontait les textures, ce qui créait une tissus imaginaire et une tissus effectif – celui des timbres. Chez moi, il y a un geste et une utopie romantiques, si je puis dire : dans mes pièces symphoniques, les calques se révèlent dans la rencontre, avec le rêve de l'expérience sociale, annulant toute hiérarchie dans l'utilisation de l'orchestre. Mon expérience californienne a mis en péril tant de certitudes préalables. »
Sa conception du temps s'en est trouvée altérée. Synchroniser le temps des différentes couches qui se rencontrent dans sa musique aurait été un appauvrissement. Du coup, Sven-Ingo Koch s'imposa une gestion des périodes sur une structure pensée à plus long terme. « J'ai voyagé dans l'Arizona désertique : le souffle qu'il nécessite oblige de voir toujours plus loin. D'ailleurs, ma gestion des extensions de la technique – je préfère cette notion au mot effet – n'a aucun incidence sur le temps qui jamais ne l'intègre ». Aujourd'hui, la musique de Sven-Ingo Koch – après une incursion en 2004 à la Biennale Musiques en scène de Lyon où fut joué Die Überwindung des großen Klaffen pour six voix et électronique en temps réel – entre un peu plus en France, notamment par le biais des Rencontres musicales de Haute-Provence qui, outre cette première française de Salut to S.D., donneront cette semaine Oznek (1999), Drei kleine Trios (2006) et les créations mondiales de Tonopah-Page pour violoncelle et piano, et d'un Duo pour violoncelle et accordéon, instrument essentiel de l'univers du compositeur.
De Bohuslav Martinů, nous entendons la Sonate pour flûte et piano n°1 H.308 où Juliette Hurel est accompagnée par Frédéric Lagarde qui choisit une sonorité opulente. Lumineuse et primesautière dans l'Allegro moderato, la flûte chante souverainement la mélodie d'inspiration tchèque de l'Adagio néoclassique, concluant le dernier mouvement, qui oppose à l'extrême précision des piquées la générosité des phrases legato, dans une infernale effervescence.
C'est au Quatuor pour piano et cordes Op.26 n°2 de Johannes Brahms qu'il appartient de clore cette soirée. Antje Weithaas au violon [lire notre chronique du 22 août 2006], d'une grâce confondante, Christophe Gaugé à l'alto et Jean-Guihen Queyras au violoncelle retrouvent Alexandre Tharaud qui troque la préciosité explorée dans Haydn contre une pâte sonore plus charnue. Le large éventail dynamique des instrumentistes offre un premier mouvement plein de relief, un Poco adagio retenu et recueilli, dans une couleur feutrée, secrète, un Scherzo dont l'indéniable muscle ne contredit pas l'élégance générale de cette interprétation qui s'achève dans un Allegro brillant.
BB