Chroniques

par bertrand bolognesi

deux moments avec le Quatuor Arcanto
œuvres de Bartók, Beethoven, Haydn, Kurtág et Mozart

Septembre musical de Montreux / Théâtre de l'Alcazar (Territet) et Salle del Castillo (Vevey)
- 21 et 22 août 2006
deux soirées du Quatuor Arcanto au Septembre musical de Montreux
© christoph fein

La fête vaudoise se poursuit avec deux concerts du jeune Quatuor Arcanto. De même que le premier programme se referme sur Mozart, le second s’ouvre avec le Salzbourgeois, ainsi placé au centre, deux maîtres hongrois venant épicer cette promenade classique. On ne gardera pas un souvenir impérissable de l’exécution du Quatuor en do majeur n°19 K.465 « Dissonanzen », si ce n’est l’extrême lyrisme d’AntjeWeithaas au second violon et l’excellente technique de Daniel Sepec au premier. En revanche, celle du Quatuor en ré majeur n° 22 K.575 s’avère dès l’abord d’une grande élégance. L’Allegretto initial bénéficie de l’excellence de Sepec (interprète idéal dans ce répertoire), d’une écoute mutuelle attentive et d’une respiration commune où des dosages savants soignent un bon équilibre. Le début de l’Andante rencontre une tendresse infinie et une belle égalité de ton. Pour invisible qu’il demeure le dessin opère avec évidence, garant de la cohérence narrative comme de sa ténacité. C’est dans une courte échelle qu’agissent les contrastes du Menuetto, poussant la dynamique vers le minimal avec beaucoup de délicatesse que révèle d’autant plus la plénitude inattendue et généreusement phrasée offerte au dernier mouvement (Allegretto), dans un relief toujours subtil.

Outre le Quatuor en ré majeur Op.71 n°2 Hob.III : 70 de Haydn, nous entendons le Quatuor en fa majeur Op.59 n°1 de Beethoven dans une lecture moins convaincante. Certes, la réserve dans laquelle s’articule le premier mouvement (Allegro) nourrit un certain suspens, et fascinante est la sinuosité des échanges, mais Jean-Guihen Queyras ne livre pas des traits de violoncelle irréprochables. La véhémence musclée et diablement contrastée de l’Allegretto vivace e sempre scherzando trouve une autre expressivité, souvent au détriment de la justesse, notamment sous l’archet d’Antje Weithaas – du reste, nous avions remarqué la veille, dans une Symphonie concertante en mi bémol majeur K.364 problématique, la relative aigreur de sa pâte sonore, des reposés d’archet maladroits, quelques stridences sur les tirés, des trilles parfois torves, bref : autant d’impuretés que d’indéniables soucis de hauteur. Pudeur et retenue définiront le mieux l’interprétation de l’Adagio molto e mesto, d’une extrême sensibilité, tandis que, malgré les incontestables qualités de phrasé et la lumière particulière dont Weithaas anime le registre médian de son instrument, l’Allegro final laisse sur sa faim.

S’il est intéressant de mettre en perspective avec des œuvres de leur temps les deux opus mozartiens, les thématiques de cette édition du Septembre musical de Montreux se croisent judicieusement puisque les Six moments musicaux Op.44de Kurtág s’y trouvent comme annoncés par le Quatuor en ré majeur Sz.114 n°6 de Bartók. Amorcé par le grand solo psalmodique de l’alto-Roi de Tabea Zimmermann, beau comme un désert, le premier mouvement est ensuite chanté par les échanges lestes des quartettistes, lui ménageant des attaques tout à la fois toniques et larges, lyriques, dans une riche dynamique. Queyras maintient ensuite son solo (début du Mesto) sur le mystère des trois autres, dans une approche subtilement doloroso. La Marcia se révèle nettement orchestrale, tant par l’écriture que dans l’interprétation. Une passionnante différentiation des caractères, du désolé au grotesque en passant par le lyrique, mobilise la Burletta, ce moment s’achevant par un Mesto dense et toujours ténu où l’intention ne faiblit pas. Enfin, la subtilité d’approche, la minutie des échanges et l’ouverture sur un lyrisme peut-être inattendu de l’interprétation de l’Opus 44 de György Kurtág, révélant dans Les Adieux (in Janáčeks Manier) une écriture des timbres parfois aux confins du silence, forcent l’admiration.

BB