Chroniques

par vincent guillemin

Siegfried
opéra de Richard Wagner

Grand Théâtre, Genève
- 8 février 2014
troisième volet du Ring (Wagner) de Dieter Dorn au Grand Théâtre de Genève
© carole parodi | gtg

En restant au plus près du livret avec des techniques datées de mise en espace et d’utilisation des figurants, Dieter Dorn, qui n’avait pas convaincu dans les deux premiers volets de ce Ring genevois [lire nos chronique du 9 mars et du 16 novembre 2013], réussit dans Siegfried à créer certaines belles scènes, à commencer par le prélude où la lance de Wotan plantée au milieu du rideau noir laisse découvrir, à la levée de celui-ci, la grotte de Mime dans un brouillard dense. Sa lecture scrupuleuse du texte de Wagner ne peut être mise en doute et permet à chacun de comprendre parfaitement l’histoire et ses rebondissements, Siegfried revenant de la chasse avec un ours en vie, reforgeant lui-même l’épée Nothung afin de tuer le dragon Fafner (ici un monstre à deux têtes sur un crâne lunaire verdâtre).

La conception de départ n’est cependant pas neuve et sert uniquement au metteur en scène et au décorateur Jürgen Rose à développer des astuces faisant le lien entre chaque opéra et chaque acte : les oiseaux aux sept couleurs de l’arc-en-ciel rappellent la montgolfière à la montée du Walhalla au prologue (et certainement au Crépuscule), l’arbre présent dès l’Acte I devient pattes du dragon au II, les Nornes tissent depuis Rheingold leur toile à chaque début d’acte, etc. Contrairement à Bayreuth qui tente encore de faire émerger de nouvelles lectures en partant du principe que l’ouvrage est connu de l’auditeur [lire notre chronique du 19 août 2013], une production « classique » ou « néoclassique » comme celle de Genève ne pose pas de questions et ne propose pas de réponses sur personnages et situations, ne s’interroge finalement pas sur l’art : nous n’apprendrons donc pas qui est Siegfried, ce que sait Wotan depuis le début, ce que représente Brünnhilde, à la fois amante et mère.

Partant de là, le Grand Théâtre semble avoir voulu prendre un risque mesuré en faisant appel à un vétéran, déplaçant l’intérêt de la représentation sur Ingo Metzmacher.Car s’il est clair que depuis ses débuts ce Ring est intéressant, c’est surtout grâce à la lecture chambriste et ciselée du chef allemand qui met en exergue chaque leitmotiv. Sans disposer de la fosse idéale – celle-ci est trop petite et profonde pour obéir aux exigences de la partition (il faut choisir de garder huit cors, dont quatre dédoublés en Wagner Tuben, pour ne laisser que quatre contrebasses et moitié moins de violons qu’à Munich ou à Vienne) – ni d’un médium parfait, bien que l’Orchestre de la Suisse Romande soit de plus en plus convaincant, Metzmacher installe un climat dynamique et une lecture personnelle. Le niveau sonore est certes trop faible au deuxième acte pour nous conduire dans les affres de la mort de Fafner, mais certains thèmes sont particulièrement travaillés (comme ceux de l’amour et de Brünnhilde au III), d’autant que l’orchestre retrouve une belle chaleur dans le dernier tiers, peut être porté par le fait qu’il s’agit de l’ultime représentation.

Du plateau vocal demeure le meilleur des deux premiers volets, avec le Fafner excellent et déjà remarqué de Steven Humes, pour lequel aurait été appréciée une amplification plus forte lorsqu’il est dragon, l’Erda très vivante de Maria Radner et le Mime toujours excellent d’Andreas Conrad, aussi à l’aise dans l’aigreur du début que dans le mielleux de la scène où sa volonté de duper le héros le mène à la mort. L’Alberich bien tenu de John Lundgren ne marque pas le rôle mais est loin de démériter, tout comme le Wotan de Tomás Tomásson, plus vocal que celui de Tom Fox dans les deux épisodes précédents. Le timbre lumineux de Regula Mühlemann en Oiseau de la forêt (Waldvogel) apporte une belle clarté à la scène avec Siegfried, à laquelle participe d’ailleurs le cor solo quasi parfait et complètement en phase avec l’incarnation de John Daszak. Quoiqu’avec un timbre relativement commun qui le dessert dans la scène finale, le ténor anglais ne se place pas moins parmi les meilleurs Siegfried actuels, sans jamais défaillir dans ce rôle complexe dont il évite les pièges par une bonne maîtrise technique. Un travail irréprochable et complice avec la fosse rend la fabrication de Nothung magistrale par la justesse de chaque coup de marteau et très crédible celle de la forêt. Surprenante Brünnhilde dans Die Walküre, Petra Lang laisse perplexe dans Siegfried. Elle engage suffisamment sa voix pour venir à bout de sa partition, mais peine sur certains aigus et révèle une diction quelque peu pâteuse rappelant qu’elle est avant tout une grande Ortrud, rôle pour lequel sa tessiture convient mieux.

Pour conclure, rendons hommage au technicien qui fit une grave chute pendant le changement de décor du premier entracte, et rappelons qu’outre des rôles principaux nos critiques ne parlent toujours que de ce que nous voyons et entendons mais que le spectacle vivant est aussi composé de toute une partie invisible. Götterdämmerung conclura en avril un travail d’un an et demi, avant la reprise de deux cycles intégraux en mai.

VG