Chroniques

par hervé könig

Roméo et Juliette
opéra de Charles Gounod

Grange Park Opera
- 26 juin 2018
Olena Tokar et David Junghoon Kim sont les amants de Vérone vus par Gounod
© robert workman

L’été des festivals débute et il me revient d’en lancer la chronique, avec deux soirées au très chic Grange Park Opera, en Angleterre. Il y a vingt ans, la cheffe britannique d’origine indienne Wasfi Kani, par ailleurs à l’initiative d’une compagnie lyrique qui proposa des spectacles participatifs (quand ce n’était pas encore la mode) en milieu carcéral (Pimlico Opera), a fondé l’événement qui compte maintenant parmi les plus prestigieux de l’île. C’est aussi l’occasion de faire connaissance avec le tout nouveau théâtre, édifié à Surrey, qui pérennise désormais une entreprise s’étant jusqu’à lors déroulée dans des conditions plus précaires.

Place Saint-André-des-Arts, à Paris, naît le 18 juin 1818 le fils du peintre François-Louis Gounod (1758-1823). On prénomme l’enfant Charles. Il montre bientôt des aptitudes pour la musique… on connaît la suite. L’année 2018 est donc celle du bicentenaire Gounod. N’était-il pas légitime d’attendre de cet anniversaire qu’il remît à l’honneur des œuvres devenues rares ? Nous ne jetons pas la pierre à Grange Park Opera s’il a choisi de monter Roméo et Juliette plutôt que Polyeucte, La reine de Saba ou Sapho : il est bien naturel qu’un festival anglais se soit penché sur un ouvrage inspiré par le célèbre drame de Shakespeare (livret de Jules Barbier et Michel Carré) pour fêter un compositeur étranger, d’autant qu’il n’est peut-être pas si souvent joué sur le territoire. C’est aux Français qu’il revient d’explorer avec audace ce corpus oublié. Or, que disent nos affiches ? Faust ici, Faust encore, Faust toujours. À ce chapitre, il convient de saluer l’Opéra de Tours qui présentait cette saison Philémon et Baucis [lire notre chronique du 20 février 2018], ainsi que le Palazzetto Bru Zane pour La nonne sanglante, récemment donné, et diverses parutions [lire notre compte rendu des Mémoires d’un artiste].

Pour le public anglais, cette pièce représente sans aucun doute un exemple flagrant de simplification lapidaire et d’appauvrissement de la veine dramatique élisabéthaine par un musicien de théâtre. À la tête de l’Orchestra of English National Opera, Stephen Barlow parvient malgré tout à faire vivre une partition assez terne. Son accentuation est toujours bien pensée et s’accommode bon an mal an des lourdeurs de l’orchestration – le détail est d’importance lorsqu’il s’agit d’accompagner des chanteurs. Et pour incarner les amants de Vérone, Grange Park Opera invite deux jeunes voix prometteuses. Le robuste ténor coréen David Junghoon Kim affirme des facilités étonnantes qui caractérisent le rôle d’une italianità inattendue mais jamais malvenue – l’expressivité reste juste au bord d’une tendance presque vériste dont l’artiste ne franchit pas la frontière. Bien que le style demande d’être plus précisément cultivé, les moyens vocaux de ce Roméo font bel effet. Le jeune soprano ukrainien Olena Tokar, en troupe à Leipzig (où elle a chanté Violetta, Susanna, Musetta, Pamina mais aussi le Marguerite de Gounod), est nettement plus à l’aise sur scène, quand son confrère s’avère un peu pataud. Si le timbre est moins exceptionnel, l’art est supérieur, comme en atteste un travail constant et savoureux de la nuance, favorisé par un format léger, agile, parfaitement distribué en Juliette.

Sans démériter, le reste du plateau paraît s’adonner à un exercice parfois laborieux, surtout avec la langue française qui n’a pas livré ses secrets aux interprètes. Pourtant, Gary Griffiths donne un Mercutio habile et coloré. Anthony Flaum satisfait plus encore en Tybalt, très vaillant. On remarque Olivia Ray en Gertrude douce scéniquement mais un peu dure vocalement. La vivacité et la présence contrastée d’Anna Grevelius rendent intéressant le personnage de Stephano. En revanche, les deux basses ne font pas l’affaire. L’instrument de Clive Bayley semble être toujours resté en deçà du phrasé de Capulet, et l’excellent Mats Almgren, dont le talent fut applaudi dans Wagner [lire nos chroniques des 28 juin, 1er et 3 juillet 2016], livre un Frère Laurence sous-impacté, caverneux et souvent couvert.

Dans une scénographie minimaliste de Francis O'Connor, joliment éclairée par David Plater, Patrick Mason signe une production transposée dans l’Italie des chemises noires, ici dominée par la terreur de la famille Capulet. La mise en scène s’intéresse à l’amour rendu impossible par les luttes politiques. L’à-propos des costumes et l’efficacité pratique du décor procurent une certaine fluidité à l’ensemble.

HK