Chroniques

par michel slama

Roberto Alagna et Iryna Zhytynska
Orchestre national de Lille, Giorgio Croci

Les Grandes Voix / Philharmonie, Paris
- 22 juin 2015
Roberto Alagna en récital avec le mezzo ukrainien Iryna Zhytynska à Paris
© jean-marc lubrano

Après Joseph Calleja, vendredi [lire notre chronique du 19 juin 2015], le dernier concert de la saison Les Grandes Voix est consacré à Roberto Alagna qui propose un programme original de duos et d’airs d’opéra, pour ténor et mezzo-soprano. Fort de ses derniers succès à l’Opéra national de Paris dont il a galvanisé les soirées du Cid (Massenet) et du Roi Arthus (Chausson) [lire notre chronique du 22 mai 2015], le « ténorissime » franco-sicilien, élégant et svelte, est en grande forme, ce soir, dans la grande salle comble de la Philharmonie. Ce concert est l’occasion de découvrir un jeune mezzo-soprano ukrainien, Iryna Zhytynska. L’excellent Orchestre national de Lille est dirigé par Giorgio Croci, en état de grâce, qui, en dépit de la réverbération de la salle, sait accompagner le concert brillamment et sans réserve.

Musiques de la fatalité, tel est le thème d’un récital ambitieux en forme d’hommage à l’Italie et à la France, les deux patries d’Alagna. Intégralement dévolue à Giuseppe Verdi, la première partie lui permet d’offrir son incarnation de rôles inédits, le Rodolfo de Luisa Miller pour le duo Duchessa… Dall’aule raggianti et surtout l’Alvaro de La forza del destino. Le grand air La vita è inferno, bouleversant, est l’occasion de montrer combien il maîtrise parfaitement les arcanes du chant verdien et la tessiture difficile du rôle, grâce à une ligne de chant fluide et sans note criée. On attend avec impatience cette prise de rôle !

Bien que très prometteuse, le mezzo rencontre des difficultés dans les notes extrêmes, aigus comme graves, même si elle se garde de « poitriner » pour les atteindre, comme le font trop de chanteuses slaves. Elle semble un peu sous-dimensionnée vocalement, surtout quand elle doit lutter contre la puissance de l’orchestre verdien. À cet égard, l’air fameux O don fatale de Don Carlo – autre rôle fétiche d’Alagna – la trouve à court de moyens et peu musicale. Même si son incarnation est honnête, elle paraît dépassée par cette partie écrite pour un mezzo-soprano dramatique colorature. Elle est bien meilleure en Amneris, rôle ingrat qu’elle anime d’une passion raisonnée dans le duo de l’Acte IV d’Aida. Alagna, dont le Radamès est déjà connu à la scène et en DVD, confirme son excellence.

Après l’entracte, place au chant français avec le duo de l’Acte II de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns, En ces lieux, malgré moi, m'ont ramené mes pas, où Roberto Alagna compose le plus exceptionnel Samson qu’on ait pu découvrir à ce jour : tragédien au français impeccable et puissance vocale idéale du ténor héroïque. On regrette que ce fleuron de l’opéra français ne soit quasiment plus donné et que la seule production l’unissant à Marie-Nicole Lemieux ait été annulée. Pour l’occasion, Iryna Zhytynska a troqué sa très austère robe sombre, moirée de gris anthracite, pour une robe vert opaline plissée à l’antique, censée mieux représenter la prêtresse de Dagon. Elle est à l’aise en Dalila et fait succomber son Roberto-Samson sans difficultés par un Mon cœur s’ouvre à ta voix d’anthologie. Les deux chanteurs se plaisent à jouer leurs rôles avec entrain et à 360 degrés. Ainsi le public, qu’il soit de face, de côté ou dos à la scène, profite-t-il à son tour de cette prestation, constatant les aléas de la spatialisation du son.

Après l’Intermezzo du Dernier jour d’un condamné composé par son frère David Alagnaen 2007, notre ténor national attaque l’air de bravoure du Condamné avec vaillance et intériorité. Le texte de Victor Hugo est exacerbé et magnifié par cette musique de style postromantique. Enfin, pour conclure, le duo final de l’Acte IV de Carmen est un must, parfaitement interprété, qui déclenche un tonnerre d’applaudissements bien mérités.

Pour remercier un public en délire, cinq bis très originaux sont offerts. Tout d’abord, celui de Marina et de Dimitri de Boris Godounov de Moussorgski, suivi d’une chanson ukrainienne égrillarde, chantée par une Irina fort espiègle, puis de Senza nisciuno, le poignant air napolitain d’Ernesto De Curtis, revisité par un torride Roberto, enfin l’inattendu duo de la mule de La Périchole d’Offenbach et, pour ravir un public aux anges, la reprise du duo de Boris.

MS