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Chroniques
récital Joseph Calleja
Orchestre national d’Île-de-France, Andrew Greenwood
Les apparitions de Joseph Calleja sont assez rares en France pour que ce concert des Grandes Voix soit un événement à ne pas rater. Cette frilosité des théâtres parisiens à inviter le ténor maltais est-elle due à cet étrange vibrato serré qui lui donne un timbre si particulier ou à l’absence de curiosité d’un public qui ne l’a encore jamais applaudi à l’Opéra ? Et pourtant, il chante partout avec les plus grandes stars et dans les plus prestigieuses productions – Barcelone, Berlin, Chicago, Londres, Los Angeles, New York et Vienne, entre autres. Il apparaît régulièrement en récital dans le monde entier, depuis ses débuts à Malte en 1997, à l’âge de dix-neuf ans.
Le Théâtre des Champs-Élysées accueille donc pour la troisième fois l’artiste qui se fait annoncé souffrant, victime de ces rhinites allergiques au pollen qui foisonnent en cette saison. Coquetterie ou simple précaution, Calleja ne montre ni signes de fatigue, ni problèmes vocaux flagrants. À aucun moment cette belle voix chaude et puissante ne se trouve prise aux pièges contenus dans les airs romantiques ou véristes choisis, grâce à un style impeccable évitant portamenti, cris et larmoiement.
Le programme est bien composé, mettant en valeur ses qualités au travers de pages qu’il a interprétées à la scène et de mélodies plus rares, comme celle de Tchaïkovski Нет, только тот, кто знал (Non, seul celui qui sait), très bien interprétée. Calleja a plus de mal avec Questa o quella du Rigoletto de Verdi qui le montre fâché avec la justesse, séquelle vraisemblables de son allergie. Il se rattrape avec la mélodie Vaghissima sembianza de Stefano Donaudy, pièce qui annonce le cross over dont il est friand et avec laquelle il charme le public. Les sommets de cette première partie sont l’air de Roméo et Juliette de Gounod Ah ! Lève-toi, soleil !, juvénile et passionné, une leçon de chant, même si le français du maltais est simplement correct, et la Ballade de Kleinzach, extraite des Contes d’Hoffmann (Offenbach) qu’il a littéralement mimée et jouée, se souvenant de ses prestations exemplaires au Met’ (New York). La salle lui fait une ovation bien méritée.
Après l’entracte, l’auditoire est enflammé par La dolcissima effigie, le grand air de Maurizio d’Adriana Lecouvreur où sa noblesse et sa fièvre font regretter qu’il ne soit pas le partenaire d’Angela Gheorghiu, rôle-titre de l’ouvrage de Cilea ce 23 juin, à Bastille… Il excelle dans l’air de Macduff, extrait de Macbeth (Verdi), Ah, la paterna mano où sa sensibilité fait délirer un public ému aux larmes. Pour finir, on a rarement entendu, depuis José Carreras, un aussi poignant E la solita storia del pastore, extrait de L’Arlesiana de Cilea (rôle de Federico) et fameux E lucevan le stelle du Cavaradossi de Tosca (Puccini). Comment refuser des bis à une salle qui adule notre ténor et qui pour le remercier, lui offre une standing ovation ? Calleja, généreux, en offre trois d'abord – O sole mio, Mattinata et No puede ser – et, devant l'insistance d'un public idôlâtre, chante à nouveau les airs de Tosca et de L'Arlesiana puis « bisse » les deux premiers.
Seule ombre de cette belle soirée, l’Orchestre national d’Île-de-France est méconnaissable, les pupitres ne jouant pas ensemble, l’harmonie criarde et les percussions bruyantes (dont des timbales désaccordées). Le chef Andrew Greenwood semble dépassé par les événements : pesante et sans classe, la Polonaise d’Eugène Onéguine (Tchaïkovski) ; interminable, la musique de ballet de Faust (Gounod), sans grâce ni mystère ; ouverture d’I vespri siciliani (Verdi) inutilement bruyante et déconstruite. Mais l’auditoire enthousiaste et embrasé s’en moque bien : la belle voix de Calleja l’a enchanté, charmé et séduit par sa spontanéité, sa simplicité et sa chaleur.
MS