Chroniques

par bertrand bolognesi

René Char par Pierre Boulez, Paul Celan par Harrison Birtwistle
Marie-Christine Barrault (récitante), Alexandrine Monnot (soprano)

Pascal Gallois dirige l’Ensemble Orchestral Contemporain
Maison de la poésie, Paris
- 13 décembre 2018
le poète René Char, dont Le marteau sans maître inspira Pierre Boulez
© dr

Belle initiative que celle de l’Ensemble Orchestral Contemporain à la Maison de la poésie, consistant en un atelier menant du poème brut à son interprétation par le compositeur. Deux figures de chaque discipline sont à l’honneur, ce soir : René Char et Paul Celan ; de même deux musiciens majeurs du second XXe siècle sont-ils joués : Pierre Boulez et Harrison Birtwistle. La soirée est ouverte par le fameux portrait du jeune Boulez brossé d’une plume affectueuse par Jean-Louis Barrault. Il est dit par sa nièce Marie-Christine qui, dans la foulée, enchaîne en déclamant plusieurs vers de Char [photo].

Ce premier récital est conclu par l’exécution de trois extraits du Marteau sans maître (1954) dont, vraisemblablement, l’EOC fut la dernière formation à l’avoir donné du vivant de son auteur [lire notre chronique du 15 décembre 2015]. Le soprano Alexandrine Monnot s’attelle surtout à l’intelligibilité du texte, quitte à favoriser un Sprechgesang plutôt qu’un impact plus mélodique – à se rappeler la filiation assez évidente entre Pierrot lunaire et cet opus boulézien, l’on ne froncera certainement pas le sourcil [lire nos chroniques des 16 mars et 13 avril 2003, du 12 novembre 2004, du 17 juin 2005, du 3 octobre 2008, du 6 janvier 2010, des 1er et 10 février 2013, enfin du 2 décembre 2017]. En revanche, la lenteur choisie par Pascal Gallois surprend beaucoup, parce que l’on se souvient sans doute trop de la vivacité en volte-face des lectures de Boulez lui-même ; libre, cependant, à chaque chef de révéler, grâce à des options inattendues, des aspects insoupçonnés de l’œuvre, plus proches de leur sensibilité [lire notre critique du CD].

Place à Celan et à un moment relativement pénible où la comédienne confond cette expression désespérée avec une quelconque poésie lyrique qu’elle s’ingénie de contaminer d’une emphase ici presque obscène, au point qu’on en arrive à se demander si un seul mot du génie de Bucovine est à peine compris. Passé cette brève bévue, nous entendons Three settings of Celan conçu par Birtwistle entre 1989 et 1994 et qui, en 1996, se développera jusqu’à devenir Nine settings of Celan [lire nos chroniques du 14 novembre 2004 et du 8 novembre 2005] – aucun doute : nul contre-sens a fourvoyé le travail du compositeur britannique, chargé de l’implacable angoisse post-Shoah que l’on sait, dont témoigne l’exécution sensible et drue de Pascal Gallois à la tête de l’EOC et, principalement, le chant d’Alexandrine Monnot, idéal.

BB