Chroniques

par bertrand bolognesi

champs libre Pierre Boulez par Linea
création de Glockenblume de Cheol-Ha Park

Musée d’Art moderne, Strasbourg
- 17 juin 2005
la pianiste italienne Silva Costanzo, photographiée par Eric de Gélis
© éric de gélis

La seconde saison Champs libres de l’ensemble Linea s’achève avec cet hommage rendu à Pierre Boulez pour ses quatre-vingt ans. Observant fidèlement sa charte implicite de confronter la nouvelle œuvre d’un jeune compositeur à celles d’un « classique contemporain », le programme de ce soir sertit le délicat Glockenblume du Coréen Cheol-Ha Park dans le solide socle que constituent la Sonatine et Le Marteau sans maître (Boulez), de même qu’au printemps une pièce de Frédéric Kahn faisait figure d’îlot dans l’univers chambriste de Helmut Lachenmann [lire notre chronique du 29 avril 2005].

Pour commencer, la Sonatine pour flûte et piano d’un Boulez de vingt-et-un ans. Silva Costanzo [photo] choisit une sonorité ronde et propice aux demi-teintes qui rend judicieusement compte du triple héritage esthétique de la pièce, avec cette couleur encore « romantique » de l’écriture pianistique de Webern et la bise parfumée de la musique française, jouant quand il le faut des cellules de paysages debussystes ou les bourrasques de Messiaen. À la flûte, Mario Caroli impose une lecture des plus personnelles qu’il nous ait été données d’entendre, grâce à un geste musical d’une déroutante sensualité qui fait se rejoindre le Boulez d’aujourd’hui et celui d’hier. Cette proposition est fort pertinente, partant qu’à la libre intuition des années de jeunesse succèderait une aride période d’expérimentation, jusqu’à l’aventure du sérialisme intégral, après laquelle un lyrisme nouveau serait retrouvé. Qu’on ne se méprenne pas : l’intensité et la violence de la pensée musicale demeurent, comme en témoigne le Sacre final légendairement identifié.

Né à Taegu, Cheol-Ha Park est chef de chœur et percussionniste. Il a suivi les enseignements de Youghi Pagh-Paan, Andreas Dohmen, Joachim Heintz et Günther Steinke à la Hoschschule für Künste de Brême. Liée à un événement d’ordre privé – la quasi simultanéité du décès de sa mère et de la naissance de son fils, il y a cinq ans –, la pièce créée aujourd’hui s’inspire de quelques vers du poète coréen Un Ko. Dans un climat d’un calme extrême, elle convoque principalement un bol tibétain qu’elle utilise de diverses manières, de la baguette au maillet, brouillant sa texture par des graviers, lui confiant alors une fonction de trémolos de cordes des plus inattendues, la flûte, l’alto et la guitare, ni contrepoint venant, ni cavaliers solitaires, tisser des périphéries délicates à ces résonances. Retournant le bol, Asuka Hatanaka fait sonner la clé de voûte de l’œuvre, déferlement des graviers sur une peau, plus tard projetés par une frappe ferme et sa vibration. Le geste est finalement suspendu en un clair tintement de clochette qui laisse un parfum de cérémonie un rien solennel à l’occidental non éclairé que je suis.

Cette année, c’est aussi l’anniversaire du Marteau sans maître, créé il y a juste cinquante ans. Jean-Philippe Wurtz amorce avec précision, tonicité, clarté et fermeté le premier mouvement, distançant ensuite Commentaire I tout en affirmant la choséité instrumentale, avec la complicité de João Catalão, jusqu’à créer l’étrange sensation que c’est notre oreille elle-même qui viendrait frapper la peau. Isabel Socoja fait peu à peu éclore L’Artisanat furieux, cette première intervention restant encore relativement timorée. Elle s’empare bien vite de l’œuvre, happant l’écoute dans la tête habitable, sachant comme personne faire entendre sans aucune froideur cette musique exigeante. Enfin, c’est avec Bourreaux de solitude que l’on retrouve les qualités de sa belle prestation lyonnaise [lire notre critique du 13 avril 2003] : la chanteuse réussissant s’affranchit alors suffisamment de la difficulté tant technique que stylistique pour investir intimement la partition. Pour finir, beau travail de nuance de la flûte qui prend le devant de la scène dans le duo avec les gongs, venant comme défaire, malgré un grattement de cymbale un peu trop nourri, l’illusoire carcan formel de l’œuvre.

BB